Alain Juillet avait travaillé pour établir les trois axes fondamentaux de l’intelligence économique : la veille, l’influence et la sécurité économique.
Je me suis interrogé sur la réalité de la pratique de cette triple compétence.
Et pour cela j’ai réalisé une cartographie des acteurs en intelligence économique.
Ou plus exactement une cartographie qui analyse les profils Linkedin d’acteurs dans les domaines de l’intelligence économique, de la veille stratégique et de la gestion des connaissances (premier pôle), du lobbying et de la communication d’influence (second pôle) et de la sécurité économique (troisième pôle).
Mon objectif était de voir si les professionnels de l’IE mentionnaient ces différentes compétences dans leur profil Linkedin.
Mode opératoire
J’ai réalisé une série de requêtes dans un gros moteur de recherche en position monopolistique (on ne le répétera jamais assez 😉 :
site:linkedin.com/in « intelligence économique »
site:linkedin.com/in « veille stratégique »
…
(voir les techniques de requêtes avancées)
Pour chacune des six requêtes, j’ai récupéré les 100 premiers résultats du moteur de recherche.
J’ai intégré les 600 résultats dans un tableau excel pour les « travailler ».
Puis j’ai intégré les données dans Gephi pour obtenir la carte ci-dessous (visualisation Fruchterman Reingold).
Description des résultats
Nous voyons clairement les 6 grands thèmes. Autour d’eux il y a une multitude de points qui correspondent aux professionnels.
Les points rouges correspondent aux profils ayant mentionné au moins deux domaines de compétence. Comme Bryan Coder dans le focus ci-dessous. Ce sont ces « connecteurs » que nous allons évoquer plus bas.
A ma grande surprise, il y a très peu de connecteurs entre ces différents domaines.
– Il y a 1 connecteur entre « intelligence économique » et « gestion des connaissances », Bryan Coder.
– 15 entre « intelligence économique » et « sécurité économique », dont Eric Delbecque et Nicolas Moinet.
– 8 entre « intelligence économique » et « veille stratégique ».
– zéro entre « intelligence économique » et « lobbying ».
– pareillement, zéro entre « intelligence économique » et « communication d’influence ».
Critique des résultats
Il y a bien sûr des multiples biais dans la méthode de collecte.
– Un profil qui fait de l’IE et du lobbying peut très bien ne pas mentionner ses activités en lobbying dans son profil Linkedin, ou utiliser une périphrase comme « communication institutionnelle » ou mentionner le mot « lobbyiste ». À titre d’exemple, j’aborde dans mes formations les méthodes du lobbying et des éléments de sécurité informationnelle, mais cela n’apparait pas sur mon profil. Et de ce fait j’apparais comme un des 600 points tristement grisés sur la carte du haut, et non un des points rouges.
– Google peut très bien avoir mal indexé certaines parties du profil. Autre illustration tirée de mon profil : Alors que l’expression « gestion des connaissances » apparait bien sur mon profil, la requête [ site:linkedin.com/in/ inurl:jerome inurl:bondu « gestion des connaissances » ] ne donne aucun résultat.
– Le profil peut très bien apparaitre en 101 position et au-delà. Ce qui fait que je ne l’ai pas intégré.
Tous ces biais étant soulignés, les résultats sont quand même intéressants à analyser.
Analyse
Alain Juillet a contribué à forger le « canon » de l’IE, avec ces trois piliers : veille, influence et sécurité. Or il semble que cela apparaisse très peu dans les profils Linkedin des professionnels.
Sur la visualisation ci-dessous les différents îlots se détachent nettement les uns des autres, preuve de leur éloignement « sémantique » et « professionnel »
Reprenons la question du titre : « Est-ce que les professionnels de l’IE font vraiment de la veille, de l’influence et de la sécurité économique ? ». Cette petite étude, menée loin de toute rigueur scientifique, ne peut pas trancher. Mais nous pouvons évoquer néanmoins le fait qu’il semble y avoir une spécialisation des acteurs, et donc un manque de polyvalence.
Pourquoi ? Il semblerait que le marché ne demande tout simplement pas « d’ensemblier » de l’intelligence économique ? Une vision synoptique de l’information, depuis la collecte, en passant par l’influence, jusqu’à sa protection, ne serait qu’une vue de l’esprit.
Cela est bien dommage : Car il faut cette hauteur de vue, à un moment charnière de notre histoire qui voit la révolution numérique tout bouleverser. Et surtout qui va voir l’intelligence artificielle s’imposer partout. Laurent Alexandre ne cesse de l’annoncer : La survie des entreprises européennes (qu’il qualifie « d’idiots de la révolution numérique ») dépend de notre capacité à comprendre les enjeux stratégiques de la data. Les professionnels de l’IE devraient être bien placés. Pourvu qu’ils aient le recul nécessaire.
J’en parlerai dans ma conférence du 14 décembre à 19h30 au Club IES « États de lieux et perspectives en intelligence économique ». Vous êtes les bienvenus pour échanger …
Jérôme Bondu