J’ai acheté « La toile que nous voulons », ouvrage collaboratif écrit sous la rédaction de Bernard Stiegler (voir la note sur son livre « Dans la disruption« ). Je l’ai acheté essentiellement pour les articles de Dominique Cardon, Evgeny Morozov et Julian Assange. Ces trois articles sont effectivement très intéressants. Le reste est inégal. Voici quelques notes sur les 13 articles de ce livre (publiées sous forme de deux billets).
Premier billet : articles de Bernard Stiegler et Dominique Cardon.
Ce que nous entendons par web neguentropique
Dubitatif, je l’ai été, dès le premier article de Bernard Stiegler intitulé « Ce que nous entendons par web neguentropique ». Voila un auteur qui ne cherche pas à se faire comprendre. Du moins si l’on en juge par la quantité de termes abscons à peine définis. Petit florilège de citations « cette entropie qu’il faut alors qualifier de noétique conduit à la destruction de la noèse comme telle – au sens où la noésis constitue la faculté de penser telle qu’elle n’est pas réductible à l’intelligence qu’est aussi la métis. » Plus loin, il évoque la parrêsia, hypomnémata,aletheia, agoreuin, peri hermeneias, pharmakon, neguentropique. Et je vous passe l’herméneutique ou le biosomatique qui sont encore assez courants…
C’est dommage parce que fondamentalement, je perçois sous certaines phrases (parfois compréhensibles) des éléments fondamentaux. Nouvel extrait :
– « Il est vital pour l’Europe de réinventer le web, et elle en a tout à fait les moyens.
– C’est un enjeu planétaire.
– Le web doit être mis au service d’une économie luttant contre l’entropie (croissance du désordre, perte de diversité).
– La question des savoirs devient capitale. »
Quand je comprends ce qu’il dit, je suis entièrement d’accord. Dommage qu’il soit autant ésothérique …
Le web que nous voulons en huit propositions
Dominique Cardon par opposition à Stiegler écrit de manière limpide. C’est un régal. Son article « Le web que nous voulons en huit propositions » est très bien structuré :
Il commence par souligner que l’on ne peut convaincre le grand public des déviances du web avec un discours catastrophiste. (Et cela m’intéresse d’autant plus que c’est la tendance que je prends dans mes discours). « Il est frappant (écrit-il) d’observer à quel point, il est difficile de faire partager aux internautes l’idée contre intuitive que, sur le web, ils seraient contraints, domestiqués ou enfermés. Alors que l’accès aux informations et aux connaissances a connu une ouverture massive (…). Il est peu adéquat d’utiliser un ensemble de concepts qui a été construit dans un univers de rareté (…). Il rate sa cible en proposant un diagnostic si contre-productif qu’il est à la fois assez improbable et très inefficace ». Le grand public ne s’aperçoit pas de la fermeture car le système numérique mis en place n’a pas d’action sur eux, les internautes, mais sur le système. L’action n’est pas sur les « joueurs mais sur les règles du jeu ». Il n’y a pas d’assujettissement interne des individus, mais un assujettissement de l’environnement !
Nous avons besoins des algorithmes
A partir de ce constat puissant Dominique Cardon fait huit propositions :
– Nous avons besoin des algorithmes. Nous ne pouvons pas retourner à un état du web ou Yahoo proposait un annuaire fait à la main. Cependant nous pouvons exiger une plus grande transparence dans le fonctionnement de ces algorithmes.
– Le web est un bazar et une architecture. Et dans ce vaste territoire nous avons besoin de cartes et de boussoles pour pouvoir nous déplacer. « Les usagers du web souffrent de l’absence de « grandes photos » permettant de voir le web et ses utilisations d’un point de vue que ne soit pas le leur ».
– D’une architecture à priori à une architecture à postériori. Dans ce paragraphe il explique qu’avant les algorithmes étaient les mêmes pour tout le monde. Par exemple les critères de classement des résultats de Google étaient uniques pour tous internautes (à priori). De plus en plus le web que l’on voit est personnalisé (à postériori). Avec la conséquence que l’on ne pourra plus comprendre pourquoi l’on voit ceci ou cela. « De plus en plus, les algorithmes seront non seulement secrets, mais aussi inintelligibles même pour ceux qui les fabriquent ».
– Nous sommes à nous-mêmes nos propres algorithmes. En effet, ce sont nos routines d’utilisation du web qui nous rendent si transparents, si prédictibles, et qui fait qu’au final des algorithmes peuvent nous « comprendre » si facilement.
Les algorithmes sont des instruments
– Les algorithmes sont des instruments, et il faut les voir comme tels.
– Il faut voir nos propres déterminations. Nous pouvons utiliser tous ces outils numériques, et les retourner pour chercher à mieux nous connaitre.
– Dézoomer pour faire réapparaitre des totalités. Nous devons faire l’effort de faire un dézoomage mental pour mieux nous percevoir dans notre environnement numérique.
– Le web se ferme par le haut et s’ouvre pas le bas. Il est de notre ressort d’agir pour continuer la dynamique créée par les pionniers du web.
Pour conclure, Dominique Cardon me semble être un des grands penseurs d’internet. A lire sans modération.
Suite de mes notes sur « La toile que nous voulons » demain.
On pourra lire mes notes sur son ouvrage « Culture numérique ».
Dominique est intervenu au Club IES en 2016.
Jérôme Bondu