Compte rendu informel de la conférence sur la Guerre cognitive, organisée par l’association des anciens auditeurs de l’IHEDN, à l’Ecole Militaire. La conférence a été présidée par Guillaume Stevens, président de l’AIE IHEDN, et introduite par Thibault Renard, président de la commission influence. Ce compte rendu est parcellaire et n’engage que moi.
Guerre cognitive
Le commandant Louis-Joseph Maynié, du CDEC, a introduit le sujet et présenté un cadre conceptuel. Il s’est demandé comment consolider les forces morales du combattant. Parmi les éléments de réponse, il s’est appuyé sur le triangle de Clausewitz. Ainsi la nation peut être présentée comme les interactions entre trois entités :
– Le peuple, symbolisant la passion.
– Le politique, symbolisant le rationnel.
– L’armée, symbolisant la force.
La guerre cognitive attaque les trois angles du triangle. Et passe notamment par une saturation de l’espace informationnel.
L’analyse des effets d’une guerre cognitive est compliquée. Par exemple, l’analyse des « Macron leaks » peut être duale. D’un côté, la tentative russe de modifier le scrutin a échoué. Mais d’un autre côté, cette tentative peut être considérés comme une réussite, car la défiance envers la démocratie n’a jamais été aussi forte en France. Un Français sur six pense actuellement que les futurs élections seront truquées.
Première table ronde
Approche pluridisciplinaire
La table ronde était animée Patrick Cansell et a donné la parole à Carole Grimaux, Olivier Feix et David Colon. Je reprends les principaux messages.
David Colon a souligné qu’il fallait une approche pluridisciplinaire pour comprendre les impacts de la guerre cognitive. Il a souhaité qu’un réseau social souverain apparaisse pour protéger nos enfants des impacts négatifs des réseaux sociaux actuels.
Olivier Feix a rappelé que la guerre n’est plus le fait uniquement des militaires. Il a donné l’exemple du réseau Starlink d’Elon Musk lors des débuts de la guerre en Ukraine. La mise à disposition du réseau Starlink a permis l’utilisation des drones ukrainiens alors que les Russes pensaient avoir neutralisé ce risque. Ces drones ont détruit les colonnes de chars russes qui roulaient vers Kiev. Nous avons ici l’exemple d’un acteur privé qui a changé significativement le cours de la guerre.
Guerre cognitive et Russie
Carole Grimaux a expliqué que le concept de guerre cognitive a été inventé par l’OTAN. La Russie utilise plutôt l’expression de « guerre mentale », qui touche la sphère socioculturelle, et qui englobe les éléments qui sont utilisés pour se former une représentation mentale. Cela passe par la réécriture des livres d’histoire. A ce titre, les jeunes sont une cible privilégiée. Elle a expliqué que la Russie avait perdu la « guerre mentale » en Ukraine, qui a rejeté son passé soviétique.
David Colon en rechérit en expliquant qu’en Russie, l’approche de « guerre mentale » repose sur une science appliquée, inspirée des sciences cognitives. Les Russes ont voulu avoir une approche globale, issu notamment des travaux de Norbert Wiener. Ce dernier a dit, dans une approche holistique qu’il n’y a pas de « ligne Maginot du cerneau ». Ils se sont aussi inspirés de Skinner.
David Colon a présenté une autre défaite russe dans la « guerre mentale », celle de la chute de l’URSS. Dans les années 90, les Russes ont analysé cette défaite comme l’action des Américains qui ont réussi à implanter un virus « démocratique » dans l’esprit des Soviétiques. Pour contrer cela, Poutine a fait voter par la suite une loi de lutte contre les « manipulations de l’étranger ».
Concernant l’internet russe, je vous recommande le compte rendu de la conférence de Kevin Limonier.
Inductive et déductive
L’approche russe ou chinoise il y a 10 ans était inductive : l’analyse d’une personne était basée sur ce qu’elle faisait. Aujourd’hui la Chine, notamment grâce à Tiktok, peut faire une analyse inductive et déductive, c’est-à-dire basée sur la prédiction du comportement face à un contenu. Cela permet une analyse beaucoup plus fouillée de la personnalité, et une possibilité de contrôle renforcée.
Cette possibilité de contrôle est bien sûr inquiétante. Olivier Feix souligne, que tant que l’on ne comprendra pas le cognitif, il y a aura toujours des outils comme Cambridge Analytica. Il présente le néologisme Totisme : composé de totem et autisme.
L’humain a gagné, mais aussi perdu dans le développement des nouvelles technologies. Dans un raccourcis historique édifiant, il souligne que le web 1.0 : a permis une externalisation de la connaissance. Le web 2.0 a permis une externalisation de la vérité, car on compte sur son groupe pour mesurer la véracité. Avec le web 3.0 : on externalise le raisonnement « grâce » à l’intelligence artificielle. On risque ainsi de perdre notre humanité.
Concernant l’impact de l’intelligence artificielle sur les métiers de la veille et de l’intelligence économique, n’hésitez pas à consulter ces articles:
Patrick Cansell, a rappelé que les intelligences artificielles battent les humains. Mais que les centaures (couple Humain + IA) battent les IA seules.
Seconde table ronde
La table ronde était animée François Jeanne-Beylot, président du Synfie, et a donné la parole à Baptiste Prévot, Aurélie Laizé et Aymar de la Mettrie.
Guerre cognitive
Baptiste Prévot a souligné que la guerre cognitive ne s’attaque pas seulement aux informations, mais aussi et surtout à nos processus de représentation du monde. Cela passe par l’inhibition de la pensée rationnelle, et le fait de favoriser la pensée émotionnelle. Il est important de réussir à anticiper l’avenir, pour éviter de courir sans cesses après les évolutions technologiques.
Aurélie Laizé a évoqué un sursaut de la commission européenne avec la création d’un fonds européen. La France avec la DGA est en position de leader.
Aymar de la Mettrie a développé l’idée que l’on peut entrainer un cerveau et le nourrir. Il ne faut pas voir nos mécanismes cognitifs uniquement sous l’angle négatif.
Sources complémentaires
Voir les notes de lecture des « Maîtres de la manipulation » de David Colon. N’hésitez pas à consulter les formations Inter-Ligere sur l’influence:
I1 – Formation Lobbying, influence et cartographie décisionnelle.
I2 – Formation Gérer les rumeurs et les crises sur Internet.
I3- Formation Développer son réseau relationnel.
I4- Formation Développer son réseau relationnel et se former au langage non verbal.
I5- Formation Stratégie de communication dans les médias sociaux.
Jérôme Bondu