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Gestion des connaissances

Choisir ses zones d’ignorance

By 6 septembre 2023septembre 11th, 2023No Comments
zones d'ignorance

Comment choisir ses zones d’ignorance ? Hier je publiais un article sur la mise en place d’une veille personnelle. La maitrise de son système d’information passe aussi par la reconnaissance de ce que l’on décide volontairement d’ignorer. Même si cela peut paraitre de prime abord étonnant, la définition de ses zones de recherche va de pair avec la définition de ses zones de non-recherche.

Zones d’ignorance

Face à la surinformation … vive la sousinformation volontaire ! Un tweet récent de Terry Zimmer sur les choses que l’on décidait d’ignorer a attiré mon attention. Son tweet incluait ce tableau qui présente les choses qu’il est bon d’ignorer sur les médias sociaux. Régulièrement, lorsque j’anime une formation en recherche et en veille, on me demande comment je m’informe. Et la première réponse que je fais est de définir non pas ce qui m’intéresse, ou comment je m’informe … mais de définir ce que j’ai décidé volontairement d’ignorer ! Aussi étonnant que cela puisse paraitre, cela est très informatif. Et le tweet de Terry m’a donné envie de partager ma réponse. Non pas qu’elle ait une vertu d’exemplarité ou de modèle. Mais simplement parce que cela m’a donné le prétexte d’une nouvelle cartographie, et ça c’est toujours bon à prendre 🙂
(nb : le temps en heure correspond à ce que je consacre par semaine sur un plan récréatif).

Choisir ses zones d’ignorance

J’ai décidé sciemment, il y a une trentaine d’années, de couper certaines branches informationnelles. Cette date précède de peu près mon investissement en intelligence économique… et l’un et l’autre sont naturellement corrélés.

Premièrement, comme la cartographie le présente, j’ai décidé de ne quasiment plus écouter l’actualité immédiate.
– J’en retire d’immenses bénéfices : d’abord, évidemment, le temps libéré. Cela me permet aussi de bloquer les données anxiogènes. J’évite, de surcroit, tous les ancrages politiques ou sociétaux (biais d’ancrage, voir Sibony et Bronner). J’évite enfin la pensée moutonnière et ambiante.
– Exemple de bénéfice : je n’ai absolument pas entendu les discours des partis extrémistes durant la dernière campagne présidentielle.
– Inconvénient : dans les dîners en ville, je ne suis pas au courant des dernières nouvelles et de l’actualité. Mais on survit assez bien à cette lacune.

Maitriser le sentiment de frustration

Deuxièmement, j’ai décidé de couper certaines formes de divertissement, les émissions polémiques, les séries (que l’on appelait avant des feuilletons).
– Bénéfices : Là encore, cela libère un temps considérable. Et, par conséquent, un temps de cerveau disponible tout aussi important.
– Exemple : Je n’ai jamais vu ni entendu Hanouna… Je pourrais être assis en face de lui dans un resto, je ne reconnaitrai ni sa voix ni son visage. Je ne sais pas ce qu’il raconte et cela m’indiffère. Je suis d’ailleurs étonné de voir que ceux qui le critiquent semblent bien le connaitre… donc ils le regardent … donc ils sont pris au piège. Le dernier feuilleton que j’ai vu s’appelle Magnum ! Véridique. Je devais avoir… humm … 15 ans 😉 Zero netflix évidemment.

Eviter l’effet Zeigarnik

Cela me permet d’éviter de tomber dans l’effet Zeigarnik. L’effet Zeigarnik est le nom donné au sentiment de frustration à ne pas finir une tâche. C’est une tendance qui est naturellement très positive ! Finir une tâche est évidemment une bonne chose. Mais cela peut être détourné ! Comment ? En vous proposant une série, dont chaque épisode laisse entendre qu’un problème va trouver son dénouement dans le prochain épisode. Et paf le spectateur est pris au piège. Autre exemple, quand Facebook place un fil d’actualité qui ne finit pas (« infinite scrolling » en bas breton). Nous sommes ainsi incités à dérouler ce fil d’actualité le plus longtemps possible… Et re-paf.
– Inconvénient : je loupe forcément des choses qui peuvent être intéressantes. Par exemple on me parle régulièrement de séries qui semblent intéressantes (comme Black Mirror)… Jamais vu. Là encore, on arrive à survivre.

Se savoir ignorant

Peut-on quantifier le temps dégagé par semaine ? À la louche, cela correspond peut-être à 3h ou 4h par jours… Soit environ 25h par semaine. Vous vous rappelez sans doute la réflexion de Michel Serre sur l’allongement de la durée de la vie ? Il expliquait que par rapport à nos ancêtres nous avons gagné près de 3h30 de vie par jour. Et il remarquait avec malice que c’est exactement le temps moyen passé par jour à regarder la télévision dans les années 2000. Il concluait que … ce que nous avons gagné de temps de vie … nous le perdons devant un écran ! Laissons la parole à cette belle citation du philosophe « Les 3h37 par jour d’espérance de vie que les gens ont gagnée, ils les passent devant la télévision à devenir cons. C’est extraordinaire ! »
Pour ma part, j’essaye de passer ces heures de vie gagnée à bouquiner des livres passionnants, que je résume dans mon blog, ou à écrire des articles … comme celui que vous lisez actuellement.

Ignorer ce que l’on ignore

Le fait de choisir ses zones d’ignorance permet aussi de se prémunir de l’effet Dunning-Kruger. Ces deux chercheurs, Dunning et Kruger, ont déterminé que plus on est ignorant d’un sujet, plus on a du mal à en déterminer la profondeur, et plus on se croit compétent. Inversement, plus on est sachant sur un sujet, plus on est pris de vertige face à l’immensité de nos lacunes, et plus on est humble. L’effet Dunning-Kruger est bien résumé par ce dicton : « Par définition, on ignore ce que l’on ignore ». Et en plus court « Que sais-je ? ». Un des bénéfices globaux est donc de nous empêcher de tomber dans l’effet de surconfiance. Plus on potasse des sujets, plus on se rend compte de notre nullité. Cela confine parfois au complexe de l’imposteur. Mais ceci est une autre histoire.

Cette ligne de conduite est-elle difficile ? Non… et au contraire. Aujourd’hui, ce qui me serait insupportable serait de m’imposer de longues heures d’ennui face à un fil Facebook indigent, à une émission de téléréalité ou à un journal télévisé scénarisé.

Externalités négatives de la numérisation

Mais alors, que fais-je de mon temps libre ? me direz-vous ! Et bien, je tente de comprendre comment optimiser la gestion des informations dans les organisations. Cela me semble être un des enjeux majeurs actuels. Nous vivons une révolution informationnelle qui va faire des gagnants et des perdants. Comprendre les règles du jeu nous permet d’éviter les externalités négatives de la numérisation du monde.

Que conclure du fait de choisir ses zones d’ignorance ? Dans le domaine de la veille et de l’intelligence économique, on évoque souvent la maitrise des informations sous la forme d’une succession d’actions : définir ses besoins d’informations, puis les axes de veille, puis les sources et les mots-clés. Puis on analyse, diffuse, conserve, sécurise et influence. Et bien, on pourrait y ajouter l’importance de choisir ses zones d’ignorances. D’assumer ses angles morts informationnels. Et de s’assurer qu’ils sont couverts par d’autres acteurs, dans une dynamique d’intelligence collective.

J’imagine que je ne suis pas un cas isolé. Qui a aussi décidé sciemment de choisir ses zones d’ignorance ? De couper certains axes informationnels pour se concentrer sur ce qui lui semblait important ?

Pour finir sur les zones d’ignorance

N’hésitez pas à consulter d’autres articles sur le même sujet :
– L’article sur la définition de la désinformation et la mésinformation
– La conférence du Club IES sur le thème « Esprit critique – Comment retrouver une profondeur d’analyse ? »
– La note de lecture de Lobbytomie dans laquelle on parle d’agnotologie. L’a agnotologie est une stratégie mise en place par un acteur contre une cible pour lui faire ignorer des éléments.
– L’article sur le temps de cerveau disponible.
– Bien évidemment, cette réflexion ne traite pas de l’ignorance subie, du fait d’un manque d’éducation, de culture …

Jérôme Bondu

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