J’ai lu « Un empire de velours – L’impérialisme informel français au XIXe siècle » de David Todd. C’est un livre historique qui défend l’idée que la France a développé un empire informel puissant au milieu du XIXè siècle, avant que la défaite de 1871 ne vienne casser l’essor français.
David Todd est le fils d’Emmanuel Todd. Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et titulaire d’un doctorat de l’université de Cambridge. J’ai déjà résumé deux livres d’Emmanuel Todd :
– Après l’empire – décomposition du système américain.
– La défaite de l’Occident.
Avertissement : J’ai essayé de reprendre fidèlement quelques éléments majeurs du livre. Cette note de lecture ne reflète pas mes idées, et encore moins celles des structures avec lesquelles je travaille, mais les idées de l’auteur. Les phrases entre guillemets sont issues du livre.
Empire français informel
Impérialisme informel
L’objectif du livre est de démontrer que la France avait acquis au milieu de XIXè siècle « un vaste empire en étendant à peine sa souveraineté territoriale ». L’empire français était en grande partie informel. « Il avait plus souvent recours à la persuasion culturelle, couramment désignée aujourd’hui par l’expression soft power, et il savait conjuguer celui-ci avec les moyens conventionnels du hard power, économique et militaire. » D’où l’expression utilisée par David Todd d’empire de velours. Cet empire informel était, à son apogée, très largement profitable pour la France.
Dans le premier chapitre, l’auteur explique que c’est après la défaite de sept ans, et les pertes territoriales, que la France s’est tournée vers la constitution d’une domination informelle.
Algérie
Dans le deuxième chapitre, l’auteur explique que la présence française en Algérie était au départ dans cette logique de domination informelle. « Le choix de la conquête intégrale en 1840 fut donc fait, dans une large mesure, à contrecœur. Il était le fruit des circonstances internationales et algériennes plutôt que d’une véritable conversion à l’impérialisme formel ».
Capitalisme ostentatoire
Dans le troisième chapitre, David Todd présente les fondements économiques de l’impérialisme informel français. Ce dernier reposait sur ce qu’il appelle « un capitalisme ostentatoire ». Il faut comprendre par cela la vente de produits de luxe et demi-luxe (soieries, champagne …) destinés à la consommation des élites aristocratiques ou bourgeoises. À propos du champagne, on y apprend qu’il était au départ sucré (doux), mais que c’est pour satisfaire les palais britanniques et américains que le champagne brut a été créé… Bigre ! L’auteur rappelle aussi le rôle chez les Britanniques du « grand tour » pour parfaire leur éducation sur le continent, et notamment en Italie et France. Ils pouvaient y découvrir un « empire de la mode et du goût ». Ils découvraient à cette occasion à Paris les demi-mondaines et cocottes, qui ont joué un rôle non négligeable dans les rapports diplomatiques avec certains pays. Cette domination culturelle était aussi fortement immatérielle, et donc fragile, car facilement remplaçable. Nous y reviendrons.
Conquête par l’argent
Dans le quatrième chapitre intitulé « la conquête par l’argent », David Todd présente la colonisation par le capital. Les produits de séduction français ne nécessitaient pas des investissements importants en capitaux (comme dans le cas de l’industrie anglaise) et cela a libéré de l’épargne qui sera investie très largement dans des dettes publiques (Égyptienne, Ottomane, Mexicaine, Russe …). Selon l’auteur, malgré des échecs patents, cette politique d’orienter l’épargne des Français vers des emprunts d’État plutôt que vers des actifs industriels ou commerciaux a eu des avantages politiques significatifs pour la France.
Le cinquième chapitre est entièrement consacré à l’impérialisme informel français en Egypte. L’auteur pointe notamment la domination culturelle, linguistique et juridique. « Comme le commerce et la culture, le droit était un moyen d’assoir la domination informelle française, dans le prolongement de la vision (…) de l’établissement d’un empire linguistique, commercial et juridique, alternatif à l’empire colonial et mercantile de la Grande-Bretagne ».
C’est l’échec du maintien de cet empire informel, après la défaite de Sedan, qui poussa la France à la construction d’un empire formel, territorial.
Déclin de l’impérialisme informel
« Le déclin de la puissance informelle française fut relatif plus qu’absolu. Il dut plus aux transformations du reste du monde qu’à une quelconque décadence intérieure ». L’auteur pointe notamment les deux raisons suivantes :
– L’émergence des États-Unis au lendemain de la guerre civile, et de l’Allemagne, suite à l’unification autour de la Prusse.
– Le développement de la concurrente dans la production de marchandises « ostentatoires » (Vienne, Italie …).
Cet impérialiste informel français préfigure celui développé par la suite par les États-Unis. Et c’est un des intérêts de ce livre. Il permet de se rappeler qu’avant les USA, la France avait développé un véritable pouvoir d’influence.
Le pouvoir d’influence américain repose sur cinq piliers :
– « La libre importation des marchandises matérielles et culturelles de la puissance dominatrice,
– L’établissement de liens forts (…) avec les sociétés civiles des puissances dominées,
– Le pouvoir des créer des normes (…),
– L’exhortation à un consumérisme ostentatoire,
– Et un discours axé sur la maintient de la paix qui masquait le rôle joué par la puissance militaire ».
Continuation
David Todd fait le lien en conclusion avec la période récente. « De même que le gaullisme emprunta beaucoup aux traditions monarchistes et bonapartistes sur la scène politique intérieure, la politique de « grandeur » poursuivie par De Gaulle et certains de ses successeurs à l’extérieur avait des relents indéniables d’impérialisme informel » !
« On pourrait sans doute également soutenir que, depuis 1960, la France n’a pas entièrement renoncé à son statut impérial, en tout cas moins que les autres anciennes puissances coloniales : en témoigne le maintien de département et territoires d’outre-mer, sa relation paternaliste avec l’Afrique francophone ou encore la construction européenne, dans la mesure où celle-ci reste souvent conçue par les élites françaises comme un démultiplicateur d’influence internationale (…). La France (…) fut et même demeure à la fois un État-nation et un empire ».
Ce dernier point est un des nombreux enseignements de cette intéressante étude sur la dimension « informelle » de la construction d’un empire. Malgré de très nombreuses lectures, il me semble que c’est une des rares fois que je lis que la France demeure un empire !!
« Un empire de velours – L’impérialisme informel français au XIXe siècle » est édité par La Découverte en 2022. Il est traduit de l’anglais.
Jérôme Bondu