Suite de mon résumé de Toxic data – Comment les réseaux manipulent nos opinions de David Chavalarias. (lire la première partie).
Résumé de Toxic data
David Chavalarias est directeur de recherche au CNRS, directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France et ancien vice-président de la Complex Systems Society. Il est titulaire d’un doctorat de l’École Polytechnique en sciences cognitives et est diplômé de l’École Normale Supérieure de Cachan en Mathématiques et Informatique. Ses recherches portent sur les dynamiques sociales et cognitives, notamment à partir de l’analyse de données web à grande échelle.
Je précise que ce résumé de Toxic data n’engage que moi.
Chapitre 7. Quand c’est gratuit, c’est vous le produit.
L’auteur continue sa démonstration implacable.
– Les médias sociaux connaissent tout de nous, « les détails les plus intimes de notre vie privée ». Il cite Shoshana Zuboff (dont j’ai chroniqué le livre Capitalisme de surveillance).
– Le cas Cambridge Analitica est bien connu : quand cette entreprise de collecte d’information (data broker) avait utilisé un cheval de Troie sur Facebook (un jeu amusant pour déterminer notre profil psychologique) pour absorber 80 millions de profils (ceux des joueurs et de leurs amis). Résultats : la promotion du Brexit et de Trump.
– Les data broker marchandent nos données et nos interactions sociales.
– Autre effet possible : manipuler notre anxiété pour favoriser les achats compulsifs.
– Et on en rajoute : les tests A/B permettent d’affiner en continu les messages (j’en parle dans le livre « Tout le monde ment »).
Exemples d’utilisation
David Chavalarias multiplie les exemples d’utilisation par les partis politiques de publicités ciblées :
– Le Brexit, en juin 2016, aurait servi d’expérimentation pour Trump.
– Trump a investi 44 millions de dollars en publicité sur Facebook pour son élection en novembre 2016.
– Le parti AfD (extrême droite) en Allemagne en 2017.
– La ligue d’extrême droite de Matteo Salvini en Italie en 2018.
– Le rassemblement national en France.
Ces campagnes politiques sur Facebook contournent les lois, car, elles peuvent très bien ne pas citer un candidat, et donc ne pas être qualifiées de politique ! Elles posent donc « des problèmes majeurs pour l’intégrité de nos processus démocratiques ».
Déjouer les règles
Facebook n’est pas le seul à déjouer les règles. Google peut aussi influencer des élections :
– Avec des notifications ciblées, par exemple pour rappeler d’aller voter à certains électeurs.
– Idem avec une manipulation du classement des résultats du moteur de recherche.
– Avec des suggestions de recherche lorsque l’on tape des mots clés (autocomplétions).
Robert Epstein a déclaré devant le Sénat américain que « la démocratie telle qu’elle a été conçue à l’origine ne peut pas survivre à la Big Tech avec les pouvoirs qu’elle détient actuellement ».
Chapitre 8. Diviser pour mieux régner depuis l’étranger.
David Chavalarias s’attaque maintenant à démontrer que la Russie cherche à affaiblir l’Occident. Il rappelle que Poutine suit les préceptes de Sun Tzu, et notamment le principe des 5 divisions :
– 1/ Division de l’opinion publique. Discréditer les critiques (envers la Russie). Discréditer les médias classiques occidentaux (diffusion des insultes telles que « merdia » ou « journalopes »).
– 2/ Division extérieure : en s’attachant les services d’anciens grands commis de l’État.
– 3/ Division entre le peuple et ses élites.
– 4/ Division par la désinformation.
– 5/ Division par la corruption des ennemis.
« L’art de la division est l’art de l’inoculation de maladies auto-immunes » explique l’auteur.
Chapitre 9. Subversion 2.0
La Russie a mis en place l’IRA, Internet Research Agency, outil de propagande au service du Kremlin. D’après les éléments communiqués par Facebook, plus de 16 millions d’Américains ont été exposés à des contenus de l’IRA entre 2015 et 2017.
Les Chinois ont de leur côté :
– TikTok, dont les dirigeants « ont déclaré officiellement qu’ils s’assureraient que leurs produits serviraient à promouvoir le programme de propagande du PCC » !
– WeChat, qui sert à mobiliser la population française d’origine chinoise (voir le rapport de l’IRSEM voir aussi ma fiche de lecture du livre de Maud Quessard).
LinkedIn, enfin, est aussi un terrain de jeu, à l’instar du faux profil Katie Jones qui rappelle le cas Robin Sage.
Chapitre 10. Check-up d’une démocratie malade
David Chavalarias démontre avec un outil d’analyse de Twitter (le Politoscope) que l’espace politique se fragmente, qu’il y a une radicalisation des militants, et un « dérapage vers les extrêmes ».
Chapitre 11. La démocratie, première victime de la Covid-19 ?
Ce chapitre analyse la chambre d’écho sur Twitter menée par les antivax. David Chavalarias démontre que cette chambre d’écho a été (en partie au moins) orchestrée.
Chapitre 12. En marche vers le populisme
Notre système d’élection démocratique est pris en étau :
– La fragmentation de l’espace politique « abaisse mécaniquement le seuil de qualification pour le premier tour ».
– De son côté, « la polarisation de l’opinion augmente mécaniquement l’abstention au deuxième tour ».
– Les discours simplificateurs, qui fonctionnent mieux sur les réseaux sociaux, sont l’apanage des extrêmes.
Tout est fait pour promouvoir les partis extrêmes.
Chapitre 13. La France face au spectre du fascisme ?
David Chavalarias rappelle qu’Umberto Eco (que j’évoque dans ce billet https://www.inter-ligere.fr/a-lire-les-sept-cites-du-savoir-note-1-2/ ) avait donné des clés pour débusquer les traits du fascisme :
– Le fascisme s’étend en exploitant la peur.
– Fait appel à une classe moyenne frustrée.
– S’adresse aux personnes qui se sentent privées d’une identité sociale claire.
– Insinue qu’il y a des ennemis de l’intérieur (David Chavalarias développe l’idée que la peur de l’islamogauchisme est une construction de l’extrême droite dans le cadre de cette dénonciation d’un ennemi intérieur factice).
Il y a donc une convergence des risques avec :
– Une triple crise économique, sociale et sanitaire.
– Fragmentation et polarisation de l’opinion publique.
– Des réseaux sociaux qui favorisent une communication émotionnelle et négative.
– Une convergence des intérêts des puissances étrangères autocratique.
– Une instabilité de notre mode de scrutin à l’ère numérique.
Chapitre 14. Le capitalisme d’influence
David Chavalarias rappelle dans ce dernier chapitre de « Toxic data – Comment les réseaux manipulent nos opinions » des notions sociologiques :
– René Girard a développé le concept de mimésis (concept qui a encouragé Peter Thiel à investir dans Facebook, excusez du peu). Selon Girard « les individus sont libres, mais leurs buts dans la vie ont déterminé par ce que veulent les autres. »
– Heinz von Foerster (un des pères de la seconde cybernétique) a établi deux théorèmes : plus l’influence sociale entre individus est forte « plus les directions que prendra cette société seront à priori imprévisibles aux yeux des individus ». Parallèlement, plus l’influence sociale entre individus est forte, plus une entité qui serait en mesure de surveiller ces interactions serait capable de « prévoir le comportement global des individus » !
Or les médias sociaux sont justement devenus les médias par lesquels nous passons pour satisfaire notre besoin d’observation des autres et d’imitation des autres… et donc nous sommes aveugles de ce qui s’y passe, tandis que les propriétaires de ces outils sont capables de prévoir notre comportement ! David Chavalarias ne le dit pas, mais nous sommes comme les souris de Skinner (lire ici ou la.
C’est l’intoxication numérique.
Suite de mon résumé de Toxic data – Comment les réseaux manipulent nos opinions …
Jérôme Bondu
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