Il existe de nombreux cas de manipulation par l’image. L’ouvrage de David Colon « Propagande – la manipulation de masse dans le monde contemporain » est riche en exemples. J’ai réalisé une note de lecture en 5 articles :
– Première partie : La fabrique du consentement.
– Deuxième partie : Le « viol des foules ».
– Troisième partie : Le triomphe de l’image / manipulation par l’image
– Quatrième partie : La propagande à l’ère de la « post-vérité »
– Quatrième partie (suite) : Les techniques de l’industrie du mensonge
Troisième partie : Le triomphe de l’image / manipulation par l’image
X – Les crayons de la propagande
Différence entre l’image et l’écrit
David Colon place immédiatement la différence entre l’image et l’écrit : « À la différence du texte, l’image n’en appelle pas à la raison, mais aux sens, et contourne, en quelque sorte, nos réflexes cognitifs ».
– L’image est d’abord celle des tableaux. Cela ne date pas d’hier, car déjà la Révolution française avait fait un large usage des peintures et de la figure de Marianne, allégorie de la culture républicaine. L’art nazi, puis soviétique n’a pas été en reste. Plus étonnant, du côté occidental, la CIA a « discrètement, mais fermement soutenu l’art abstrait, qui avait le mérite d’être dépolitisé, d’être une avant-garde proprement américaine et de reposer sur la liberté d’artiste-entrepreneurs ». La CIA s’est notamment appuyée sur le MOMA (p179).
– L’image est aussi dans la rue avec notamment des statues, comme celle de la liberté.
Mobiliser la société
– Elle est aussi sur les affiches, et celles de la Première Guerre mondiale sont très célèbres. Les images ont d’abord eu pour vocation à vendre des emprunts de guerre, puis à recruter. Comme l’image « Lord Kitchener wants you » publié en 1914 à la Une du London Opinion, et repris aux États unis « I want you for US Army ». Elles ont enfin vocation à mobiliser la société. Mais l’âge d’or de la propaganda par l’affiche est la Seconde Guerre mondiale. Avec par exemple l’affiche « Silence. L’ennemi guette vos confidences ». L’affiche tend ensuite à être supplantée par la télévision.
– N’oublions pas l’image par la bande dessinée. Elle présente souvent des « modèles positifs à des fins d’identification ». La première apparition de Superman, inventé par Jérôme Siegel et Joe Shuster en 1938 le voit mettre fin à la guerre « How Superman Would End The War ». Après une lente disparition, les superhéros de Marvel et DC Comics réapparaissent vers les années 2000 pour combattre le terrorisme mondialisé. La manipulation par l’image ne s’arrête pas là.
XI – Le pouvoir de la photographie
Échapper au contrôle étatique
Là encore, il y a un avantage par rapport au vecteur précédent, qui est que la photographie produit un effet de vérité. La photographie est d’abord utilisée pour mettre en scène la vie politique et humaniser ses dirigeants. Après 45, la photographie va échapper au contrôle étatique, essentiellement parce que les coûts d’achats des appareils vont baisser. Ainsi certaines images vont-elles éveiller le public sur les atrocités de la guerre du Vietnam. Ce qui va en retour va entrainer un étroit contrôle des journalistes sur les champs de bataille du Koweït, d’Irak ou d’Afghanistan. Parallèlement, l’usage du faux s’est développé, à l’image des retouches des photos de Staline. Une des plus célèbres voit la disparition de Nikolaï Yezhov.
La manipulation par l’image photographique peut être orientée de multiples manières :
– D’abord, par le point de vue du photographe (OK c’est une évidence).
– Le choix de l’angle de vue. Penser à la photo de Barack Obama dans le bureau ovale, ou celle de Sharbat Gula la jeune afghane qui a fait la Une du National Geographic.
– Le choix du cadrage avec l’effet synecdoque quand on photographie une partie qui a la valeur d’un tout. Imaginez une poupée tombée à terre au milieu de décombre pour signifier un attentat.
– Par le jeu de contraste et de netteté, en y intégrant des codes, symboles.
– Par le fait de légender une photo. Voir par exemple les photos pour lesquelles le titre de la série donne tout son sens « Too Young To Wed ».
XII – Le cinéma, une propagande par les rêves
Cinéma outil d’influence
La force du cinéma comme outil d’influence et de manipulation par l’image se lit au travers des citations mises en exergue « De tous les arts, le cinéma est le plus important pour la Russie » Lénine en 1922. « Cette arme … est le meilleur instrument de propagande » Trotsky en 1923. C’est le « plus grand moyen d’agitation des masses » Staline en 1924. « Le cinéma est à son insu la courroie de transmission la plus efficace de la propagande » Edward Bernay en 1928. « Envoyez-leur les films, les produits suivront » Roosevelt en évoquant l’assaut commercial sur l’Europe.
Force de l’image animée
– On peut penser d’abord au cinéma durant la Seconde Guerre mondiale, avec le Dictateur de Chaplin, ou les films de Franck Capra « Why we fight ? », film qui est considéré aujourd’hui comme un chef-d’œuvre de propagande.
– Durant la guerre froide, l’industrie du cinéma américain devient un instrument de diffusion des valeurs et du mode de vie américain. À tel point que cette industrie a adopté le code Hays inspiré des valeurs morales patriotiques, et ce jusqu’en 1964 (valorisation du mariage, proscription de la nudité, interdiction du blasphème ou du manque de respect au drapeau américain…).
– S’ajoute à cela le guide rédigé par le philosophe Ayn Rand pour le compte de la « très conservatrice Association pour la préservation des idéaux américains du cinéma ». On y trouve 13 commandements : « Ne critiquez pas la richesse, ne critiquez pas le succès, ne glorifiez pas la collectivité, ne critiquez pas un homme indépendant … ».
– La période maccarthyste a vu jusqu’à la caricature la critique du communisme.
– Le cinéma promeut la guerre : Le Pentagone est très intéressé par la production hollywoodienne et a par exemple mis des moyens colossaux pour Top Gun. Hollywood a aidé à la réalisation de jeux vidéo d’entrainement militaire ou de recrutement. À tel point qu’il a été inventé l’expression « complexe militaro-divertissant ».
Dessin animé
Le dessin animé a lui aussi ses vertus en termes de manipulation :
– On s’adresse à un individu isolé dans la masse.
– Les dessins animés sont vus comme de simples amusements, et le lecteur baisse la garde et n’actionne pas son esprit critique.
– Ils reposent sur des intrigues simples, ils font appel aux émotions, avec des personnages avec lesquels il est facile de s’identifier.
– Walt Disney met ses studios dès 1952 au service de la guerre. Sa production en 1943 est à 94% pour l’effort de guerre. Il fera par la suite preuve de conservatisme et anticommunisme.
XIII – Mésinformation télévisée
L’intime du foyer
La télévision a fait rentrer le son et l’image dans la sphère de l’intime du foyer « au risque selon Günther Anders de faire régner à la maison le monde extérieur – réel ou fictif – qu’elle y transmet ».
David Colon reprend Umberto Eco qui distingue deux âges de la télévision :
– Paléotélévision, qui voit une rareté du contenu et permet une propagande du pouvoir en place sur les masses. La France fait figure de ce modèle avec son monopole complet de l’État sur la télévision (ORTF) jusqu’en 1981.
– Néo-télévision, qui voit en France la création de plusieurs chaînes privées, basées sur le modèle économique de la publicité, et voit croitre l’importance de la mesure de l’audience.
Instrument de création de réalité
La télévision « devient ainsi un instrument de création de réalité ». Cela fait appel à l’émotion des téléspectateurs plutôt qu’à leur réflexion. L’outil est si important que l’Homme politique devient cathodique. « C’est le gouvernement de la télévision, par la télévision et pour la télévision ».
On voit alors une disparition « de la cloison étanche séparant l’information journalistique de la publicité. Matérialisé notamment par la pratique du bartering « consistant à échanger des espaces publicitaires contre des émissions entièrement produites par l’annonceur (…) Ce troc très avantageux a été rendu célèbre par les soap-operas, ces émissions produites par des fabricants de lessive ». Matérialisé aussi par des native advertising « des reportages télévisés sponsorisés par un annonceur ».
Droits démocratiques
David Colon reprend la critique de Pierre Bourdieu pour qui les faits divers et autres divertissements qui privent les téléspectateurs « des informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer ses droits démocratiques ». La surexposition du thème de l’insécurité développe le syndrome du « grand méchant monde » « c’est-à-dire la représentation déformée de la réalité que nous tirons des informations fournies par les médias ». Il y a d’autres dommages collatéraux : « l’action publique est accrochée au fait divers comme une casserole à une voiture ».
XIV – La persuasion par la télévision
Serge Tchakhonine craignait « que la télévision … menace de devenir un véhicule terrible du viol psychique ». Sans aller jusque-là, il est clair que « de nombreux biais nous exposent à l’influence de la télévision sans que nous en soyons conscients ».
- L’effet de simple exposition, c’est-à-dire voir quelque chose, influence. Y compris quand l’image est affichée trop peu de temps pour que l’on prenne conscience de l’avoir vue (image subliminale).
- La publicité cherche à stimuler la mémorisation.
- Le biais d’endogroupe, nous conduits à être plus sensibles à des propos tenus par des personnes qui nous ressemblent.
- Le biais d’affirmation, nous conduits à ne pas tenir compte de la forme interrogative d’un titre.
- Le biais du transfert symbolique, nous conduits à associer à une personne le symbole (par exemple un drapeau) présent à ses côtés.
- Nous retenons plus facilement les arguments négatifs que positifs.
Le débat télévisé Nixon Kennedy fait figure d’exemple de l’influence de la télévision. Nixon est apparu comme étant mal rasé ce qui a joué en sa défaveur.
XV – L’image de guerre. La guerre de l’image
La guerre semble être parfois un outil de détournement d’attention. Le livre « American hero » et le film « Des hommes d’influence » ressemblent fort à l’épisode du scandale sexuel de Clinton, qui a multiplié les interventions militaires en Irak, Soudan et ex-Yougoslavie.
Anne Morelli résume les 10 commandements de la propagande de guerre :
1. Nous ne voulons pas la guerre.
2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre (ex : les nazis présentent l’invasion de la Pologne comme la riposte à des raids polonais).
3. Le chef du camp adverse a le visage du diable (Par exemple : Saddham Hussein présenté à la Une de The New Republic avec la moustache d’Hitler).
4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.
5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c’est involontairement.
6. L’ennemi utilise des armes non autorisées.
7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes.
8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause.
9. Notre cause a un caractère sacré.
10. Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.
La guerre en Irak de 2003 est l’apogée de la manipulation télévisée. On y voit de manière spectaculaire la Maison-Blanche « créer sa propre réalité ».
Cette partie sur la manipulation par l’image est particulièrement intéressante.
Jérôme Bondu
Plus de liens sur la manipulation par l’image
J’avais déjà beaucoup apprécié le dernier livre de David Colon que j’avais aussi chroniqué « Les maîtres de la manipulation » (notes 2, 3 et 4). N’hésitez pas à consulter les formations Inter-Ligere sur l’influence :
I1 – Formation Lobbying, influence et cartographie décisionnelle.
I2 – Formation Gérer les rumeurs et les crises sur Internet.
I3- Formation Développer son réseau relationnel.
I4- Formation Développer son réseau relationnel et se former au langage non verbal.
I5- Formation Stratégie de communication dans les médias sociaux.
Source image : témoignage de Nayirah lors de la première guerre du Golfe.