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A lire : L’odyssée du Sacré. Le numérique est une nouvelle religion

By 16 mars 2024mars 18th, 2024No Comments
numérique est une nouvelle religion

J’ai lu « L’odyssée du Sacré » de Frédéric Lenoir. Cette lecture avait pour but de mieux percevoir la dimension religieuse de notre pratique du numérique. Et de répondre à la question passionnante : est-ce que le numérique est une nouvelle religion ?

J’ai beaucoup aimé cette lecture qui apporte une bonne culture religieuse. Et qui m’a donné la réponse attendue. Les phrases entre guillemets sont de l’auteur.

Frédéric Lenoir est philosophe, sociologue et écrivain. Il a vendu plus de dix millions de livres et il est traduit dans vingt-cinq langues.

Cet article fait parti d’une série qui pose la question du sens. A l’heure de l’intelligence artificielle générative, j’ai voulu creuser le sujet par quelques lectures édifiantes.

  • Le bug humain, de Sébastien Bohler (lire aussi le résumé cartographique du livre).
  • Ou est le sens, de Sébastien Bohler.
  • Human psycho, de Sébastien Bohler.
  • Striatum, de Sébastien Bohler.
  • L’odyssée du sacré, de Frédéric Lenoir (lire aussi les notes additionnelles).
  • La science peut-elle tout expliquer, de John Lennox.
  • Sapiens, la bande dessinée.

L’aventure spirituelle de l’humanité

La première partie du livre raconte la « grande aventure spirituelle de l’humanité de la préhistoire à nos jours ». On y voit que la religiosité s’est toujours transformée avec notre mode de vie. On peut distinguer cinq périodes et quatre ruptures.

Paléolithique

Nos ancêtres du paléolithique, nomades qui gambadaient dans la nature, croyaient certainement aux « forces invisibles de la nature ». Une forme d’animisme qui fait que l’on peut communiquer avec les esprits de la nature. Les chasseurs-cueilleurs devaient avoir une vue « horizontale et égalitaire » avec la nature traitée en alliée et partenaire.

Néolithique

Durant le néolithique les Humains se sédentarisent. Ils rendent alors un culte à leurs ancêtres, puis aux dieux et déesses de leur cité pour que ces derniers les protègent (des mauvaises récoltes notamment). Ces humains sédentaires devaient avoir une vue « plus verticale » avec la nature maitrisée et exploitée (et non plus alliée).

Troisième millénaire

Durant le troisième millénaire, nos ancêtres inventent l’écriture et des formes plus complexes de civilisation (villes et palais avec des plans structurés). Ils créent les grandes religions polythéistes, avec des codes moraux, le patriarcat, les rites sacrificiels, des récits mythiques et la distinction entre un monde sacré et profane. « La nature n’est plus seulement une puissance à respecter, mais aussi un bien dont on peut disposer ». La vue est maintenant « verticale et hiérarchique d’un monde dominé par des instances supérieures ». Le mystère de la procréation place les femmes (qui enfantent) dans une position particulière et privilégiée.

Premier millénaire

Durant le milieu du premier millénaire avant notre ère, il se produit une « révolution spirituelle, liée au développement de la conscience individuelle et de la raison critique au sein des couches cultivées de la population ». Les sociétés deviennent patriarcales. La femme perd son statut. De nouvelles religions apparaissent : Jaïnisme et bouddhisme en Inde, confucianisme et taoïsme en Chine, écoles philosophiques en Grèce, zoroastrisme en Perse (Iran actuel), religions du livre (Judaïsme, Christianisme, Islam).

Renaissance

À partir de la Renaissance (1500 de notre ère), le mode de vie évolue, caractérisé par le progrès des sciences et des techniques en Europe. Les contemporains ont une vision plus globale du monde (lié aux grandes découvertes) et parallèlement, il y a plus d’individualité. On voit apparaitre la sécularisation, une spiritualité à la carte, et des réactions religieuses identitaires.
Cette première partie prouve bien le parallèle entre notre mode de vie et notre construction religieuse. Notre religiosité est fonction de notre mode de vie.

Continuum spirituel et religieux

La seconde partie s’interroge sur le continuum spirituel et religieux.

  • Dans un premier temps, l’auteur analyse le point de vue des courants spirituels et religieux.
  • Dans un deuxième temps, l’auteur analyse le point de vue des matérialistes modernes (Feuerbach, Nietzsche, Comte, Marx et Freud). Et évoque les penseurs qui ont réhabilité l’expérience spirituelle (Jung, Bergson, Frankl).
  • Dans un troisième temps, il se penche sur les apports des neurosciences et de la psychologie cognitive (voir Sébastien Bohler)

Cette seconde partie souligne le besoin de spiritualité de l’Humain.

Le numérique est une nouvelle religion

Finalement, numérique est-il une nouvelle religion ?
– Oui ! Car le numérique est en train de créer un nouveau mode de vie, qui sera radicalement différent de ce que nous avons connu précédemment. Et qui va forcément induire une nouvelle construction religieuse (cf la première partie).
– Et re-oui, car le besoin de spiritualité et d’une forme de religiosité est une constante. Le numérique ne va pas faire disparaitre cela, tout comme la renaissance de l’a pas fait disparaitre ! (cf la deuxième partie).

Mais quelle en sera la forme ? Il suffit d’écouter les tenants du transhumanisme pour avoir les contours de cette nouvelle religion. Le numérique va répondre aux trois questions fondamentales de notre existence :

  • Pourquoi sommes-nous là ?
  • Que devons-nous faire sur terre durant notre vivant ?
  • Qu’advient-il après notre mort ?

Cette vision, purement technosolutionniste, prétend que le tout numérique va tout régler pour créer le meilleur des mondes. Nous ne sommes pas obligés d’y adhérer…

Conclusion du livre

Frédéric Lenoir conclut sur le danger du transhumanisme qui prétend remplacer les formes actuelles de religiosité. La singularité, comme proposé par Ray Kurtzweil (Google) fait peur à l’auteur, car elle rime avec une perte d’humanité.
Frédéric Lenoir pense qu’il ne faut pas opposer une vision matérialiste et une vision spirituelle (sacrée). Il prône une troisième voie, celle de la transdisciplinarité, qui est notamment portée par Edgar Morin. Selon l’auteur, le numérique est donc bel et bien une nouvelle religion !

Mon avis sur la question du numérique en tant que nouvelle religion

Perte d’humanité

Ce qui suit n’est que mon avis ! Et je sors donc du résumé du livre.
J’ai beaucoup aimé cette lecture. J’aborde à chaque formation et conférence le changement civilisationnel lié au numérique. Je tenais à étayer mes connaissances avec une vision panoramique du sacré. Ce livre était parfait pour cela.
– Comme nous l’avons vu dans la première partie de cet ouvrage, la religiosité se transforme avec notre mode de vie. L’omniprésence du numérique va donc forcément changer notre vision et pratique religieuse et/ou spirituelle.
– Comme nous l’avons vu dans la seconde partie, il y a peu ou prou un continuum spirituel et religieux. Donc le numérique ne va pas balayer le spirituel, mais le remplacer.
– Il y a donc urgence à comprendre les changements, et à les orienter dans un sens qui soit positif pour nous. C’est le message délivré dans mes derniers livres Maitriser internet et La plus grande révolution de l’histoire de l’humanité.

Nouveaux deus ex machina

Frédéric Lenoir explique que la religiosité des GAFAM va induire une perte d’humanité. C’est vrai, mais il a une lecture religieuse et sociale. La grille de lecture intelligence économique permet de rajouter un élément de poids. La numérisation va aussi profiter aux propriétaires des outils qui deviendront les nouveaux deus ex machina (je pense que l’expression latine ne pourra jamais aussi bien s’appliquer que dans ce cas-là). Tout est rapport de force. Et dans cette mutation, il y a un glissement important qui voit notre « pouvoir personnel », glisser entre les mains des patrons des GAFAM et consorts. Et cela me semble inacceptable. Pas vous ?

Cette démonstration qui fait du numérique une nouvelle religion n’est pas nouvelle.
Noha Yuval Harari définit trois stages de développement de l’Humain : l’âge des religions, l’âge de l’humanisme, l’âge du dataïsme. Jean-Gabriel Ganascia en parle aussi.

J’ai écrit il y a fort longtemps un article sur le lien entre les guerres de religion et les guerres économiques. Voici une dernière référence pour finir : « Les sept cités du savoir » est un autre livre très riche sur l’évolution du savoir grec et romain au cours des siècles.

« L’odyssée du Sacré » est édité en 2023 chez Albin Michel. Voici la présentation du livre sur le site de Frédéric Lenoir.

Jérôme Bondu

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