
J’ai lu « L’individu, fin de parcours ? Le piège de l’intelligence artificielle » de Julien Gobin. Cette lecture a fait suite au livre de Louis de Diesbach « Bonjour ChatGPT ». Julien Gobin est économiste et philosophe.
Avertissement : J’ai repris quelques extraits du livre. Cette note de lecture ne reflète pas mes idées, et encore moins celles des structures avec lesquelles je travaille. Les phrases entre guillemets sont issues du livre.
Piège de l’intelligence artificielle
Julien part d’une métaphore : celle de la chenille, qui passe par une phase de chrysalide, avant de se révéler papillon. Cette chenille, c’est nous ! Nous sommes actuellement une chrysalide. L’ambition de l’auteur est de déchiffrer la métamorphose civilisationnelle en œuvre en Occident. Il distingue trois phases :
– La déconstruction de la chenille : phase déclenchée par l’apparition des droits de l’Homme au XVIIIe siècle.
– L’état liquide de la chenille dans la chrysalide : malaise civilisationnel caractéristique de la post-modernité.
– Enfin, la reconstruction, qui donnera naissance au papillon : résolution du malaise dans le transhumanisme et les intelligences artificielles.
« Le fil conducteur qui relie ces trois étapes est la quête de l’individu pour être authentiquement lui-même, c’est-à-dire affranchi des déterminismes sociaux et biologiques, autant d’influences qui contraignent sa volonté et entravent l’expression de sa singularité ».
L’individu se veut libre est sans contrainte
Le citoyen (issu de la Révolution Française), est devenu une personne (via le libéralisme économique) puis un individu. L’individu se veut libre est sans contrainte. Mais l’individu se cherche !
Julien Gobin écrit bien et a l’art de la formule. C’est très agréable à lire. Je vous prends ce petit extrait qui évoque le tatouage : « Autrefois marque du collectif sur le singulier, il est désormais la marque du singulier sur l’absence de collectif. L’individu peut ainsi, grâce au tatouage, se cristalliser et arborer fièrement, tel un officier au dîner de gala, les médailles de son autodétermination héroïquement gagnées lors des grandes épopées de l’être. (…) Si la religion est l’opium du peuple, le tatouage est le CBD de l’individu. » C’est bien tourné, non ?
Il analyse les activités de développement personnel qu’il propose de renommer « automédication personnelle ». Il explique l’émergence de ce mouvement par le poids de l’autonomie et de l’esseulement de l’individu face à l’incertitude. Il en devient drôle quand il se moque de ces activités banales qui se transforment en thérapie. Extrait : « Dessiner, danser, faire de la poterie ? Art thérapie. Jouer de la musique ? Musicothérapie. Bien manger ? Nutrithérapie. (…) Coucher avec quelqu’un ? Thérapie tantrique ondulatoire. Se taper une bonne barre ? Thérapie par le rire ou, pour les doctes, rigologie ».
L’individu coupé du réel
Mais ce faisant, l’individu perd tout ce qu’apportait le groupe. Pire, il se coupe du réel. Extrait : « Protégé dans l’immortalité inédite et éphémère de son monde sur mesure, l’individu ne peut supporter l’idée de vivre dans le réel, c’est intrinsèquement au-dessus de ses forces, car, pour cela, il serait obligé de se renier. Il devrait en effet accepter qu’il n’est pas le maitre, une capitulation qui reviendrait à condamner à mort son statut d’individu ».
La métaphore des criquets pèlerins
Julien aime visiblement les métaphores, et l’une d’entre elle m’a particulièrement frappée tant elle est éclairante ! Julien associe les internautes à des criquets pèlerins. Ce criquet est grégariapte, c’est-à-dire qu’il peut être solitaire ou vivre en groupe. Solitaire, il est inoffensif. En groupe de plus de 500 individus par hectare (c’est précis) il devient un véritable danger. Je laisse Julien expliquer :
« Une décharge de sérotonine déclenche en lui des transformations physiologiques qui le rendront grégaire et, par le fait du nombre, le transformeront en un fléau ravageant toutes les récoltes sur son passage (…). A l’image du criquet pèlerin, l’individu contemporain solitaire peut, grâce aux outils numériques et selon la densité d’émotions provoquées par les événements, s’agréger à ses congénères pour former de manière imprévisible des essaims soudés par la convergence des ressentis et natures propres du moment (…). Fléau de la société contemporaine, le criquet pèlerin impulsif ravage la culture (…). Les réseaux sociaux et leurs hashtags, aimants à affects, accélèrent la formation des nuées ».
Le piège de l’intelligence artificielle
Heureusement (ou pas) les outils d’intelligence artificielle vont apporter à l’individu ce qui lui manque. « À mesure que les solutions technologiques accroissent la liberté d’action de l’individu, elles le dépossèdent dans le même temps de son libre arbitre. Un jeu de vase communicant à l’œuvre sur le plan aussi bien théorique que pratique ».
Il explique que l’usage des IA au service de l’Homme « incarne un idéal pensé, il y a près de trois cent cinquante ans, par Spinoza ».
Julien évoque Noah Yuval Harari et sa vision de la religion dataïste.
Julien se pose la question de savoir si vivre dans un monde dominé par l’IA, épuré des erreurs de notre logique défaillante (car Humaine) serait bénéfique pour nous ou pas ? La réponse est plutôt négative, car l’exactitude mécanique des machines enlèverait ce qui fait la Vie « la vie basculerait du côté de l’exactitude de la mort ». La mort dont il parle est l’ennui ! « Cet ennui pascalien est celui de l’anéantissement de tout récit, de toute erreur, de tout mystère, de toute illusion nécessaire au divertissement ou à la croyance en Dieu ».
« Essec Alumni Le piège de l’intelligence artificielle » de Julien Gobin est édité chez Gallimard.
Il a eu une bonne couverture presse, notamment dans Essec Alumni.
A lire,
Jérôme Bondu