Voici le troisième billet sur le livre « Les maîtres de la manipulation – un siècle de persuasion de masse », de David Colon.
1. Le premier article concernait : Ivy Ledbetter Lee, George Creel, Albert Lasker, Edward Bernays, Joseph Goebbels
2. Le second : Ernest Dichter, Walt Disney, Frank Capra, David Ogilvy, Rosser Reeves, John W. Hill, Marcel Bleustein Blanchet, Lin Biao
3. Celui-ci : Michel Bongrand, Karl Rove, B. J. Fogg, Mark Zuckerberg, Richard Thaler
4. Le prochain : Steve Bannon et pour finir Roger Ailes
Dans cet article, nous allons présenter cinq nouveaux « maîtres de la manipulation ».
14. 1965 : Michel Bongrand introduit en France le marketing politique
Michel Bongrand a proposé au général de Gaulle de s’inspirer de la campagne de Kennedy. Le refus du général pousse Bongrand à soutenir Lecanuet. Pour ce candidat, Bongrand va introduire le marketing dans la vie politique française.
15. 1994 : Karl Rove lance la carrière politique de George W. Bush (junior) et part à la conquête du pouvoir
Karl Rove va avoir une influence inégalée sur le président Bush et présider dans l’ombre au destin des États-Unis.
Rove a mobilisé les électeurs républicains avec la technique du sifflet à chien (dog-whisle politics) qui consiste à glisser dans un discours des phrases clés, reconnaissables uniquement de la cible. Un peu comme un sifflet à ultrason n’est perçu que par son chien.
Une fois qu’il a fait élire Bush, il va assurer « la domination durable des républicains sur la présidence ».
L’auteur explique que c’est lui qui vient chuchoter à l’oreille de Bush qu’un avion vient de s’écraser sur le world trade center. Ce qui va plonger Bush dans six longues minutes d’hébétude totale. (nb : selon L’obs ce serait plutôt Andrew Card Jr qui lui annonce la nouvelle).
Par contre il est certain que c’est Rove qui va accuser Wilson lors de l’affaire de l’uranium du Niger et dénoncer sa femme comma agent de la CIA, ce qui est un crime fédéral pour lequel il ne sera pas poursuivi, preuve de la collusion avec l’administration Bush.
Il s’est vanté ouvertement de manipuler la réalité « Nous créons notre propre réalité, et pendant que vous étudiez cette réalité […] nous agissons de nouveau, créons d’autres réalités nouvelles, que vous pourrez étudier aussi, et c’est comme cela que les choses vont se régler : nous sommes les acteurs de l’histoire. Et vous, vous tous, il ne vous restera plus qu’à étudier ce que nous faisons. » Il influencera Roger Ailes et Steve Bannon qui seront aux côtés de Trump.
16. 1997 : B. J. Fogg invente la « technologie persuasive » et révolutionne Internet.
Voir sa fiche wikipedia en anglais.
Fogg a écrit un livre en 2003 Persuasive Technology dans lequel il énonce déjà comment les outils numériques « peuvent changer les conduites de leurs utilisateurs, qu’il s’agisse de leur opinion, de leur attitude ou de leurs valeurs. »
Fogg est l’élève de Zimbardo, auteur de la célèbre expérience de Stanford de soumission à l’autorité. Zimbardo le pousse à étudier l’application des principes de psychologie sociale au monde informatique. Ce que Fogg fera avec beaucoup de réussite en inventant la captologie. Avec lui, nous rentrons dans l’ère de la « persuasion individuelle de masse » et de la « micropersuasion permanente ». Il distingue trois canaux :
– En rendant tel parcours de l’internaute plus facile à suivre
– En dirigeant les internautes à travers un processus
– En effectuant des calculs au fur et à mesure du parcours de l’internaute pour adapter la présentation de ce qu’il voit
L’ingénierie comportementale est au cœur des plateformes numériques. Ces conditionnements fonctionnent tellement bien qu’ils vont déboucher sur de véritables addictions numériques. Parmi les astuces utilisées, il y a la variabilité de la récompense, déjà mise en avant par Skinner. Ce qui a fait dire à un autre auteur que les internautes sont comme des rats dans la boite de Skinner.
17. 2007 : Mark Zuckerberg fait de Facebook un outil de persuasion de masse
Inutile de présenter la plateforme, dont le fondateur a sans doute plus qu’un autre sa place parmi les maîtres de la manipulation. Et nous avons tous déjà lu la confession d’un ancien créateur de Facebook Chamath Palihapitiya « les boucles de rétroaction à court terme induites par la dopamine que nous avons créées détruisent le fonctionnement de la société ».
Pour ceux qui l’ignorent encore, « la finalité de cette collecte massive de données est l’analyse prédictive du comportement des internautes à des fins publicitaires ». La sociologue Shoshana Zuboff considère que Facebook après Google nous a fait rentrer dans l’âge du capitalisme de surveillance.
Facebook multiplie les expériences pour mesurer, tantôt l’influence sur le fait de voter, tantôt la contagion émotionnelle, tantôt la « formation de l’amour ». La plateforme construit un profil psychologique de ses utilisateurs. Parmi ses détracteurs, Eli Pariser a développé l’idée que Facebook nous enferme dans une bulle de filtre, polarise les débats et renforce les extrêmes.
Facebook a été utilisé via la société Cambridge Analytica pour promouvoir le Brexit et l’élection de Trump. Le microciblage permet de détecter les personnes fragiles et de les influencer. Selon Siva Vaidhyanathan, Facebook est profondément un outil antisocial qui attise la haine et le sectarisme.
18. 2008 : Richard Thaler invente le « nudge ». anglais
Une définition pour commencer : « le nudge est un élément présent dans l’environnement qui attire l’attention des individus et, en agissant sur l’architecture du choix, les conduit à modifier leur comportement ».
L’auteur rapproche Thaler de Kahnemann, tous deux prix Nobel d’économie. Là où Kahnemann popularise le système 1 / système 2, Thaler « élabore un modèle de la psychologie des individus reposant sur deux « moi », un moi « planificateur » (planner) tourné vers l’avenir qui a des bonnes intentions et se préoccupe du futur, et à moi « faiseur » (doer) de caractère désinvolte et qui vit au présent ».
Thaler développe l’économie comportementale. Vous voulez des applications ? Depuis la petite mouche qu’il peut y avoir dans les urinoirs et qui « aident » à viser droit, jusqu’aux messages ciblés pour mieux recouvrir l’impôt, en passant par le fait de mettre dans les cantines les légumes à hauteur des yeux des enfants pour qu’ils se servent plus volontiers.
Bonne découverte des maîtres de la manipulation dans le livre de David Colon.
Jérôme Bondu