J’ai beaucoup apprécié « Les maîtres de la manipulation – un siècle de persuasion de masse » de David Colon. Le livre est publié chez Taillandier. On trouve sur Google books quelques extraits.
L’auteur présente 20 personnages majeurs du 20ème siècle qualifiés de « maîtres de la manipulation ». J’ai particulièrement apprécié la simplicité du plan (qui suit un ordre chronologique), et les descriptions des acteurs qui sont vivantes et dynamiques (chaque partie commence par une présentation des personnages et de leur formation intellectuelle). C’est pédagogique et didactique. J’en recommande fortement la lecture ! J’avais déjà identifié la moitié des acteurs, … j’ai donc découvert l’autre moitié.
Voici pour chaque « maître de la manipulation » une synthèse très personnelle de ce que j’ai retenu. Les phrases entre guillemets sont tirées du livre. Je vais publier 4 billets sur le sujet. Ces articles n’ont pour vocation qu’à vous inciter à lire le livre.
- Billet 1 : Ivy Ledbetter Lee, George Creel, Albert Lasker, Edward Bernays, Joseph Goebbels
- Billet 2 : Ernest Dichter, Walt Disney, Frank Capra, David Ogilvy, Rosser Reeves, John W. Hill, Marcel Bleustein Blanchet, Lin Biao
- Billet 3 : Michel Bongrand, Karl Rove, B. J. Fogg, Mark Zuckerberg, Richard Thaler
- Billet 4 : Steve Bannon, Roger Ailes
Introduction :
L’auteur rappelle qu’à « chaque fois qu’un progrès intervient dans la connaissance scientifique de l’esprit humain, il est presque aussitôt appliqué à la persuasion de masse ». Il reviendra en conclusion sur cette affirmation.
1. 1906 : Ivy Ledbetter Lee invente la propagande d’entreprise.
Ivy Ledbetter Lee s’est notamment fait connaitre en modifiant profondémentl’image de Rockefeller, transformant celui qui fut appelé le « baron voleur » en grand philanthrope. Lecteur de Gustav Le Bon, Ivy Lee est persuadé que les foules vont prendre le pouvoir. Il invente le lobbying industriel et est par exemple le premier à avoir recours à des associations professionnelles dans le but de faire valoir les intérêts de ses clients industriels. Bien qu’exprimant une certaine déontologie, il n’hésitera pas à utiliser des fausses informations pour le compte de ses riches clients. Il travaillera pour la société allemande IG Farben et rencontrera Goebbels et Hitler.
2. 1917 : George Creel vend la première guerre mondiale aux Américains.
Si les nations européennes avaient déjà expérimenté la propagande de guerre, Creel va pour la première fois pratiquer cela aux Etats-Unis. Il prend la tête du CPI, comité de propagande pour l’entrée en guerre des Etats-Unis dans la première guerre mondiale. Parmi ses innovations, il y aura la création d’un « bulletin officiel » qui fournit à tous les journalistes et leaders d’opinion les déclarations des autorités. Il convient de porter le bon message, de saturer les canaux, pour éviter aux journalistes d’aller chercher la vérité ailleurs. Autre innovation, la mobilisation de tous les supports disponibles. Il mobilise des conférenciers bénévoles chargé de « faire des discours patriotiques de quatre minutes dans tous les lieux accueillant du public ». Il y aura près de 75 000 « four minute men ». Pour envahir l’univers mental des Américains, le cinéma et l’image sont des produits de choix : nous connaissons tous encore aujourd’hui l’image « I want you for US army ».
Il est intéressant de noter pour finir que le comité présidé par Creel va arrêter ses activités sur le sol américain après la guerre, mais va continuer à l’étranger pour promouvoir les intérêts américains et notamment le Wilsonnisme. Creel expliquera « porter l’évangile de l’américanisme aux quatre coins du globe ».
3. 1920 : Albert Lasker invente la campagne politique moderne.
Lasker s’est inspiré des méthodes de Creel et a travaillé pour de grandes marques (Palmolive, Frigidaire, Lucky Strike – marque d’American Tobacco). Mais il va surtout s’illustrer dans la campagne politique. «Lasker révolutionne à jamais la politique américaine, donnant naissance à la « nouvelle politique » qui se caractérise par l’organisation de campagnes selon des principes tirés de la publicité scientifique et du marketing, le recours systématique aux nouveaux médias et l’application à grande échelle de manipulation de masse » :
– Lancement de soap opera à la radio (financé par des lessiviers, d’où le nom).
– Détection des citations de sa cible politique pour les exploiter hors de leur contexte, et en modifiant consciencieusement le sens du propos. Diffusion ciblée des messages selon des catégorie de public.
– Réalisation de courts-métrages par des cinéastes d’Hollywood.
– …
4. 1928 : Edward Bernays invente la manipulation de masse et introduit une dimension psychanalytique.
Bernays est le pesonnage que je connaissais le mieux, pour en parler régulièrement dans mes cours sur l’influence et la manipulation.
Eward Bernays utilisera « ainsi l’une des plus efficaces techniques de manipulation de masse, consistant à créer une organisation de façade pour servir d’intermédiaire entre les promoteurs d’un produit, quel qu’il soit, et le public. Le recours à ce « tiers-parti », en apparence désintéressé, permet de modifier la perception du produit promu ». Ainsi Bernays va moins chercher à promouvoir un produit, mettre en avant ce qui le distingue, qu’à modifier la perception du public cible, ou même à changer les habitudes de consommation. Un exemple ? Quand le patron de Lucky Strike refuse de changer la couleur verte de ses paquets de cigarettes, Bernays entreprend de « changer la mode vestimentaire dans son ensemble » !
Son action pour le tabagisme, sa défense de la circulation automobile contre le train, son support de la United Fruit contre le gouvernement guatémaltèque de Arbenz Guzman, et bien d’autres causes douteuses, lui ont valu le surnom « d’empoisonneur professionnel de l’opinion publique ».
Dans les années 60, ses méthodes reposant surtout sur les leaders d’opinion ne sont plus en phase avec le développement de la radio et de la télévision.
5. 1933 : Joseph Goebbels devient ministre de la propagande du Troisième Reich.
Je ne vais pas trop développer cet exemple. Cette citation du livre suffira : « Toute propagande efficace doit se limiter à des points forts peu nombreux et les faire valoir à coup de formules stéréotypées aussi longtemps qu’il le faudra, pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l’idée ». Il est le metteur en scène des manifestations de masse, et le maitre de la manipulation par la parole.
C’est à lire !
Jérôme Bondu
Trois autres articles seront postés dans les jours à venir.
Voici en outre quelques vidéos pour aller plus loin :
