J’ai lu « Intelligence artificielle : vers une domination programmée » de Jean-Gabriel Ganascia. Ce livre vise à détecter les idées reçues sur l’intelligence artificielle, et à y répondre. Seconde partie de la note de lecture (lire la première partie). Cette cartographie reprend les principaux chapitres du livre.
Les idées reçues sur l’intelligence artificielle
Des machines et des hommes
Une machine ne peut pas être créative.
– Elle récupère des éléments déjà vus qu’elle recombine.
Les machines n’ont pas d’émotions ni de conscience.
– L’auteur explique qu’elles n’en ont pas besoin pour être néanmoins intelligentes.
Les machines n’ont pas d’intuition.
– L’auteur rappelle en introduction la citation de Descartes : l’intuition est « la conception d’un esprit attentif, si distincte et si claire qu’il ne lui reste aucun doute sur ce qu’il comprend ». Il développe ensuite l’idée que parcourir toutes les possibilités à un problème a rapidement été identifié comme problématique. D’où l’idée de créer des raccourcis (heuristiques).
Avec l’intelligence artificielle émotive, nous confierons bientôt les personnes âgées aux robots.
– Ce n’est pas vraiment une idée reçue sur l’intelligence artificielle. C’est ce qui se passe déjà au Japon.
Les voitures autonomes sont programmées pour tuer leurs passagers.
– Ce sujet a défrayé la chronique, et pose des problèmes éthiques sans fin.
Menace démocratique
Le “Big Data” menace la démocratie.
– Jean-Michel Ganascia étrille les GAFAM « tout en affichant les meilleures intentions du monde, ces derniers aspirent à tout dominer à la place des États ». Plus loin, les GAFAM « se substituent aux États et aux institutions républicaines pour vider l’idée démocratique de souveraineté populaire de toute substance ».
– On pourra lire sur le sujet Toxic Data de David Chavalarias.
– Ainsi que En attendant les robots – Travailleurs du clic d’Antonio Casilli.
Les “robots tueurs” remplaceront bientôt les soldats.
– Si les grandes puissances ne veulent pas utiliser de type d’armes, elles veulent quand même en maitriser la technologie au cas où des États moins vertueux chercheraient à les utiliser »…
Il faut donner des droits aux robots.
– L’idée parait saugrenue, mais elle a un fondement. Si les entreprises ont une personnalité juridique, c’est bien pour pouvoir les juger. Alors, pourquoi ne pas donner pareillement une personnalité juridique à un automate qui commettrait un crime (par exemple une voiture autonome qui fauche des passants).
L’avenir de l’intelligence artificielle
Nous ne sommes pas prêts pour le tsunami technologique qui advient.
– Clairement, nous avons du mal collectivement à prendre conscience des défis qui nous attendent. C’est le positionnement de Laurent Alexandre avec son livre Guerre des Intelligences.
L’intelligence artificielle n’a pas tenu ses promesses.
– C’est faux explique l’auteur. Les promesses (mesurées) des fondateurs de l’IA ont été atteintes.
Les robots nous mettront tous au chômage.
– On apprend en introduction l’origine du mot « robot ». Robot vient du tchèque qui signifie corvée (voir RUR). Sinon la réponse est négative. Au contraire « l’expérience montre que les hommes et les femmes compétents doivent travailler de plus en plus pour relever les défis du monde moderne » lié à l’économie de la connaissance.
Demain, nous serons les esclaves des machines.
– La réponse de Jean-Gabriel Ganascia à cette idée reçue sur l’intelligence artificielle est toute en finesse : en gros l’IA nous aide à maitriser les outils qui utilisent l’IA…
Il n’y a pas ou plus de débouchés professionnels en intelligence artificielle.
– Faux évidemment. L’auteur rappelle au passage la réunion des chefs des 15 gouvernements de l’Union européenne à Lisbonne en 2000, et leur vision de l’économie de la connaissance. Qu’en reste-t-il aujourd’hui en Europe ? Quel temps perdu ?
L’intelligence artificielle constitue un danger existentiel majeur et inéluctable pour l’humanité.
– L’auteur est clairement rassurant, et explique qu’il ne fait pas céder aux annonces apocalyptiques sur l’IA… Bon, il a écrit ce livre avant les avancées publiques de ChatGPT4 (voir mes tests sur les biais et stéréotypes de ChatGPT 🙂
Devenir immortel avec l’intelligence artificielle
Grâce à l’intelligence artificielle, nous téléchargerons nos consciences et deviendrons immortels !
– Pas si faux que cela, car la recherche en intelligence artificielle « ouvre, si ce n’est sur la vie éternelle, du moins sur une prolongation indéfinie de la vie de l’esprit ». On y apprend le mot « plérôme, entendu au sens d’une plénitude de l’être déployant, enfin, l’ensemble de ses potentialités ». Il cite Ray Kurzweil (qui parait-il est très occupé depuis quelques jours, après avoir été pratiquement ostracisé pour ses positions sur l’intelligence artificielle forte) qui voit l’histoire du monde en six phases : 1/ le big bang, naissance des premiers électrons, protons, atomes, matière organisée. 2/ Ère de la vie sur terre, premiers organismes. 3/ Venue des mammifères avec des cerveaux de plus en plus perfectionnés. 4/ Perfectionnement des technologies conçues par l’Homme. 5/ Autonomie des techniques conçues par l’Homme. 6/ Je cite « apothéose de l’esprit, l’univers se réveillerait et s’amplifierait d’une intelligence d’ordre essentiellement technologique dont le règne succèdera, à n’en pas douter, à celui du vivant ». CQFD. Je vous laisse découvrir le site http://2045.com/ qui va vous permettre de construire votre futur avatar en appuyant sur le bouton de l’immortalité.
La machine est l’avenir de l’homme.
– Je vais vous laisser sur votre faim. Parmi les hypothèses il y a celle d’Aragon 😉
Conclusion : les idées reçues sur l’intelligence artificielle
En conclusion de ce panorama complet sur les idées reçues sur l’intelligence artificielle, l’auteur rappel l’indispensable complémentarité Homme/Machine : Les techniques contemporaines se révèlent remarquablement fiables et que les dysfonctionnements proviennent presque tous d’un défaut de communication entre hommes et machines. Il soulève aussi que nous avons un rapport dual avec les outils : d’un côté nous avons un rapport rationnel. D’un autre nous avons un rapport qu’il qualifie d’animiste. Non pas que nous tombions dans une forme de chamanisme, mais simplement que nous donnons une âme aux machines.
Sur le plan de la forme : un livre impeccable. L’auteur a une vraie plume, le lire est un régal. Et les parties sont parfaitement construites avec un développement et une conclusion sous forme de réponse. Le tout très articulé.
J’avais déjà lu Servitudes virtuelles de Jean-Gabriel Ganascia
Le livre est édité chez Le cavalier bleu.
Jérôme Bondu