Qu’est-ce que la guerre cognitive ? J’ai lu « La Guerre de l’information – Les États à la conquête de nos esprits » de David Colon.
C’est un livre passionnant, qui vient compléter les précédents ouvrages de David Colon : « Les maitres de la manipulation » et « Propagande et manipulation de masse ». Cette note de lecture n’engage évidemment que moi. Les phrases entre guillemets sont de l’auteur.
Je vais la publier en quatre parties :
- La Guerre de l’information.
- La guerre totale de l’information.
- La guerre psychologique.
- La guerre cognitive.
Le concept de guerre cognitive a été traité récemment lors d’une conférence de l’AIE IHEDN.
Chapitre 12. – La Chine et l’avenir et de la guerre cognitive
L’armée chinoise a adopté la doctrine des trois guerres
Et la Chine dans tout cela ? Sur le plan doctrinal, l’armée chinoise a adopté la doctrine des trois guerres : saper les institutions internationales, modifier les frontières, subvertir les médias mondiaux. Cela repose sur trois composantes : la guerre psychologique, la guerre de l’opinion publique, la guerre du droit.
- Et les actions en matière de cyberattaques font mouche. À l’image de ce fait d’armes qui remonte à 2013. Des pirates chinois pénètrent les systèmes informatiques du Bureau de gestion du personnel américain (OPM) qui gère les demandes d’habilitation de sécurité « secret » et « top secret » aux États-Unis. Des millions de dossiers tombent dans les mains des Chinois.
- Parallèlement, ils verrouillent la communication de contenu jugé par Pékin comme subversif sur le territoire chinois. Le « bouclier doré » déjà évoqué plus haut, vise à contrôler la communication numérique à l’intérieur du pays. Le système de crédit social (ou sesame credit) est bien connu. Les Ouïghours ont l’obligation d’installer une application sur leur téléphone JingWang (nettoyage du web) qui filtre leurs messages et « permet aux autorités d’accéder au contenu du téléphone. » Ce sont de véritables « menottes électroniques ».
- La Chine s’immisce dans la Silicon Valley en ouvrant des fonds de capital-risque. Les réseaux Confucius sont comme un poste avancé de Pékin.
- Taïwan est un théâtre expérimental de la guerre numérique de demain.
Rideau numérique
Le rideau de fer de la guerre froide a été remplacé par un « rideau numérique ». La Chine sort les dents. « L’expression de diplomatie du loup guerrier s’est imposée dans le langage courant pour caractériser cette nouvelle posture diplomatique consistant à répondre de façon virulente aux critiques adressées à la Chine».
Nouvelle arme de Pékin dans la guerre cognitive
TikTok est traité par David Colon comme une nouvelle arme de Pékin dans sa guerre cognitive. TikTok est un outil de collecte de données des utilisateurs, mais aussi d’influence. Dans un parallèle très intéressant avec la guerre de l’opium, l’auteur présente le réseau social comme une drogue envoyée par Pékin pour assujettir les Occidentaux. David rappelle à ce titre les travaux de Skinner sur le phénomène de récompense aléatoire (voir les notes de lecture Internet rend-il bête et La civilisation du poisson rouge). Pékin applique en fait une forme de réciprocité. Il considère que les plateformes américaines sont le bras armé des services de renseignement américains. Et ont décidé d’agir de même. (De vous à moi, les GAFAM comme bras armé des services de renseignement, on en parle depuis longtemps. Un des premiers a été Pierre Bellanger).
David Colon utilise pour l’occasion un néologisme : La guerre est « intelligentisée ». « le domaine du cognitif sera le domaine ultime de la confrontation militaire entre les grandes puissances ».
Bienvenu dans la guerre cognitive !
Conclusion : Pour un état d’urgence informationnel
Ingérence informationnelle
« Clausewitz affirmait que la guerre était une continuation de la politique par d’autres moyens. Aujourd’hui, La Guerre de l’information est la continuation de la guerre militaire par d’autres moyens ».
Comme David Colon l’a répété de nombreuses fois tout au long de l’ouvrage : « Parce que nos sociétés ouvertes reposent sur la liberté d’expression, sur les débats pluralistes, ainsi que sur les libres production et circulation de l’information, elles sont davantage exposées à l’ingérence informationnelle que celles de nos adversaires ».
État d’urgence informationnelle
« L’heure est à l’état d’urgence informationnelle » ! J’ai noté quelques recommandations opérationnelles pour protéger les citoyens des ingérences des régimes dictatoriaux et la guerre cognitive.
La cartographie ci-dessus est un classement personnel.
- Collaborer efficacement entre structures de défense informationnelles : ComCyber, Viginum, Irsem, Caps, DGSE, DGSI, les ministères concernés, France média monde, ….
- Coopérer au niveau international.
- Organiser des systèmes de réponse à la désinformation rapides et efficaces. À l’image de ce que fait Taïwan avec des contre campagnes rapides, justes et amusantes : 200 signes, prêtes en 20 minutes et accompagnées de 2 images.
- Envisager la « non-prolifération des armes informationnelles ».
- Instituer un moratoire sur l’utilisation des outils d’intelligence artificielle générative.
- Désigner clairement les menaces, comme l’a fait Raphaël Glucksmann (voir la note de lecture Comment poutine fait la guerre à nos démocraties ?).
- Obliger les structures d’influence à se déclarer (sur le modèle FARA Foreign Registration Act).
- Appliquer des clauses de réciprocité : « un pays autoritaire qui n’accepte pas d’ONG étrangères sur son sol ne devrait pas être autorisé à financer des ONG sur le nôtre ».
- Sanctionner pénalement ceux qui diffusent sciemment de la désinformation.
- Financer un observatoire indépendant, qui pourrait s’appeler « observatoire de défense informationnel » pour identifier et caractériser les campagnes d’ingérences étrangères, les contrer, former les décideurs, et redonner aux citoyens un « esprit combatif à la hauteur de la guerre qui est menée contre nous ».
Un livre riche et passionnant
Mon avis : un livre riche et passionnant, qui fait prendre conscience de la réalité de la guerre informationnelle, de la guerre cognitive, et qui offre des pistes d’action. À lire le plus tôt possible.
N’hésitez pas à consulter les formations Inter-Ligere sur l’influence :
- I1 – Formation Lobbying, influence et cartographie décisionnelle.
- I2 – Formation Gérer les rumeurs et les crises sur Internet.
- I3- Formation Développer son réseau relationnel.
- I4- Formation Développer son réseau relationnel et se former au langage non verbal.
- I5- Formation Stratégie de communication dans les médias sociaux.
« La Guerre de l’information » est édité chez Tallandier.
Le zoli dessin sur la guerre cognitive a gentiment été réalisé par Dall.e 3 …
Bonne lecture !
Jérôme Bondu