J’ai lu En attendant les robots – Enquête sur les travailleurs du clic, d’Antonio Casilli. Le livre est publié par le Seuil. Antonio A. Casilli est sociologue, enseignant-chercheur à Télécom ParisTech et chercheur associé au LACI-IIAC de l’EHESS. Il a notamment publié Les Liaisons numériques (Seuil, 2010) et, avec Dominique Cardon, Qu’est-ce que le digital labor ? (INA, 2015). Ce premier billet reprend quelques informations qui m’ont semblé importantes. Toutes les phrases entre guillemets sont de l’auteur. Un second billet viendra compléter cette note de lecture.
L’intelligence artificielle est réellement « artificielle »
Le titre est clairement beckettien (inspiré de la pièce « En attendant Godot ») et signifie que nous attendons des robots qui n’arriveront probablement jamais. Comme le canular du Turk mécanique, l’auteur démontre que l’Intelligence Artificielle actuelle a besoin du travail des humains pour l’alimenter, corriger les erreurs et approximations. Dans une pirouette sémantique, il explique que l’intelligence artificielle est réellement « artificielle » dans le sens où l’IA se base en partie sur du travail humain.
Antonio Casilli distingue cinq types de plateformes : les plateformes publicitaires (comme Google et Facebook), nuagiques (Amazon Web Services), industrielles (Siemens), de produits (Spotify) et allégées (Uber, Airbnb, etc.).
Collecte et d’exploitation des données
Il évoque trois modèles de collecte et d’exploitation des données utilisés par ces plateformes :
– Premièrement, les plateformes de services « à la demande » comme Uber. Quand Uber propose des véhicules autonomes, la plateforme fait travailler (dans le sens collecte de données) ses chauffeurs et aussi ses clients. Uber n’est pas une entreprise de transport, mais une entreprise de traitement de données. Antonio Casilli fustige le discours de liberté et d’autonomie de ces plateformes, qui est à mille lieues de la réalité.
– Deuxièmement, les plateformes de microtravail comme Amazon Mechanical Turk. « Le microtravail tel qu’il a été façonné par Amazon Mechanical Turk montre qu’une intelligence véritablement et entièrement « artificielle » n’est qu’un mirage ». L’auteur évoque les « galériens du clic ». Certaines plateformes de microtravail font travailler des personnes dans les pays du sud, payés une misère.
– Les plateformes sociales comme Facebook. Le travail des usagers (c’est-à-dire nous) est moins visible que dans les deux autres cas, car il est masqué par une forme de ludification des interactions. Quand nous publions, interagissons, nous créons des données collectées, analysés, utilisés et revendus par Facebook.
Bénéfices des plateformes
Ces trois modèles produisent de substantiels bénéfices aux plateformes : « Les bénéfices proviennent de la monétisation des données et des métadonnées de leurs usagers. Les informations personnelles sont monétisées régulièrement au travers d’accords commerciaux avec les marques et les régies publicitaires pour permettre un ciblage personnalisé, avec des assurances ou des sociétés d’évaluation de la solvabilité ou encore avec des États à des fins de surveillance. Plus récemment, l’utilisation des données pour calibrer des intelligences artificielles est apparue comme une nouvelle source de revenus ».
Le digital labor
Comme évoqué plus haut, Antonio Casilli explique que derrière ces créations de valeur il y a un travail humain. Le digital labor est permis par deux dynamique : l’externalisation du travail et sa fragmentation. « Ces deux tendances sont apparues à des moments différents (…) jusqu’à ce que, aujourd’hui, les technologies de l’information et de la communication les réconcilient ». En outre, l distingue des interprétations possibles de ce nouveau capitalisme numérique : L’une positive, qui met en avant la participation librement consentie des utilisateurs. L’autre négative, qui analyse la valeur qui résulte de nos interactions comme issue d’un rapport d’exploitation.
Pour en savoir plus sur les travailleurs du clic
- Lire le second billet sur le travailleur du clic.
- Note de lecture : L’âge du capitalisme de surveillance. De Shoshana Zuboff.
- Note de lecture : Culture numérique de Dominique Cardon
- Voir son interview sur lecture très détaillée concernant les travailleurs du clic.
- Il y a aussi une note de lecture très détaillée.
Jérôme Bondu