Quel est l’impact d’internet sur le printemps arabe ? N’hésitez pas à consulter mon dernier article publié dans le blog Intelligence Économique des Echos (accessible uniquement sur Archive.org) sous le titre « Internet et la révolution : une question de forme ». Je cherche à y démontrer (en quelques lignes) qu’internet a eu un impact sur les révolutions en cours dans le monde arabe… c’est une évidence, mais que :
- d’une part ces révolutions auraient eu lieu sans internet,
- et que d’autre part internet va rapidement être « apprivoisé » par les dictatures. Il ne sera donc plus l’apanage des défenseurs de la liberté, mais un nouveau terrain d’affrontement.
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Internet et le printemps arabe
Internet et sa composante participative (réseaux sociaux, blogs, microblogs …) a sans conteste joué un rôle important dans les révolutions survenues dans le monde arabe. Mais il ne faut pas surpondérer son influence.
Les raisons fondamentales, me semble-t-il, sont plus géopolitiques que « numériques ». Les dénominateurs communs des régimes en train de tomber sont qu’ils :
– ont plus de 30 ans d’exercice,
– étaient en phase de monarchisation avec la volonté des « monarques » en place de passer le flambeau à un membre de leur clan,
– n’étaient pas des parangons de vertu.
Ces trois aspects sont les moteurs réels des révolutions en cours
Par contre, internet a été un accélérateur. : les appels à réunions se sont faits sur les réseaux sociaux ; les témoignages et images envoyées en temps réels ont permis une prise de conscience des démocraties occidentales qui ont pu jouer leur rôle de modérateur.
La volonté des régimes sur la sellette de couper l’accès à internet est d’ailleurs une autre preuve de l’importance de ce média.
On peut penser que ces révolutions auraient eu lieu sans internet. La contestation se serait manifestée autrement, par exemple via la création de sociétés secrètes et la mise en place de conspirations comme l’histoire en a tant produit. Internet a donc plus changé la forme de ces révolutions qu’elle ne les a créés.
Internet est-il un vecteur de démocratie ?
Il faut rester prudent ! Toutes les innovations servent ceux qui savent la maitriser : les progrès de la science et de la technique ont porté en France les bourgeois et industrieux aux dépens des aristocrates. Cela s’est fait par la diffusion « douce » de l’Encyclopédie, et par la rupture « violente » de la Révolution Française.
Internet facilite l’accès à l’information et la capacité d’expression de ceux qui savent l’utiliser. Ceux qui ne savent pas maitriser le web, les « analphanets » souffriront d’infobésité, ne sauront pas endiguer le flux incessant d’informations charriées par ces nouveaux « tuyaux », ne sauront pas les analyser, et seront les perdants de la nouvelle organisation sociale en cours de construction.
En ce sens, internet génère une webocratie plus qu’une démocratie. Si la diffusion de l’imprimerie a permis plus de « liberté », cela a aussi généré de nouvelles formes de censure, comme les autodafés.
Contrôle d’internet
La question est maintenant de savoir comment s’exercera le contrôle de ce nouvel outil. La diffusion des messages étant moins facile à endiguer, cela passera par l’interprétation des messages. Le contrôle d’internet sera psychologique. Le contrôle des esprits, la réécriture de l’histoire, la surinformation et la désinformation seront les nouveaux outils de contrôle du réseau des réseaux.
Il ne faudra sans doute pas attendre très longtemps avant qu’un apprenti dictateur, ou un dictateur confirmé, ne fasse une utilisation extensive et « intelligente » des réseaux sociaux pour se propulser au pouvoir ou s’y maintenir.
Moubarak a envoyé des policiers en chameaux contre des blogueurs. Cela a parfaitement symbolisé l’archaïsme contre la modernité. Les prochains enverront des mercenaires-hackers contre des cybercitoyens. Internet va donc plus changer la forme des combats pour la liberté, qu’il ne va promouvoir la liberté. L’analyse d’internet et le printemps arabe est riche d’enseignements.
Jérôme Bondu
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