Le Cigref a invité Olivier Buquen le 2 juillet au Cercle National des Armées. Devant une salle comble, il a énoncé sa politique d’intelligence économique. Voici quelques notes personnelles.
Politique nationale d’intelligence économique
Le délégué interministériel à l’intelligence économique a souligné le travail d’équilibriste que constitue sa mission. Il a rappelé par exemple que la mondialisation était en même temps une chance et une menace pour nos entreprises. Et, par exemple, que le positionnement de ses services vis-à-vis des investissements extérieurs devait être extrêmement nuancé. Même si les investissements extérieurs sont souhaités, cela n’empêchait pas de les surveiller. Il s’agit donc pour lui de faire passer des messages avec finesse.
Son service, composé de 12 personnes, travaille dans trois directions :
1. Une action au service de l’État.
2. Une action au service des acteurs économiques orienté sur l’offensif.
3. Enfin, une action orientée sur le défensif.
1- Cellule de veille de l’État
« Nous sommes le cabinet de veille des plus hautes autorités de l’État » a souligné l’intervenant. Une partie des missions du service d’Olivier Buquen consiste donc à répondre aux questions de l’État. Mais, ajoute-t-il, nous pouvons aussi répondre directement à des sollicitations d’entreprises. Nous veillons simplement à ne pas créer une concurrence « déloyale » vis-à-vis des cabinets privés. Nous intervenons dans un cadre très précis, quand l’intérêt supérieur du pays est en jeu, et quand il y a une entreprise étrangère dans la partie. Nous ne rentrons pas dans les problèmes franco-français.
2- Registre de l’offensif et de l’influence
Il a évoqué ensuite les actions menées à destination des entreprises, sur le registre de l’offensif et de l’influence.
Il a cité par exemple :
– l’accompagnement des grands contrats à l’international,
– le soutien à l’export des PME,
– la sensibilisation des organismes de recherche publics. Il a évoqué la rédaction d’un guide pratique à destination de ces organismes, pour sensibiliser les chercheurs aux agressions extérieures (pillage) et pour les inviter à valoriser leurs recherches avec les entreprises françaises. Il est normal a-t-il souligné « que nous attendions un retour sur investissement de la recherche publique ! ».
Malgré les efforts entrepris de longue date en matière de sensibilisation, il a souligné que l’Intelligence économique n’était pas encore assez bien connue en France. « Nous souhaitons promouvoir les formations en IE au sein de l’enseignement supérieur ». L’objectif étant que tous les diplômés de l’enseignement supérieur soient -à minima- sensibilisés avec l’Intelligence économique pratique. C’est un travail de longue haleine, qui a d’ailleurs été initié par Alain Juillet.
Olivier Buquen a été plus prolixe en ce qui concerne le volet défensif. Et il s’en est expliqué. L’action offensive de son service sera d’autant plus efficace qu’il n’en fera pas la publicité. D’où cette relative discrétion sur tout ce qui a trait à l’influence. « Je ne vais pas insister sur l’offensif, car cela se fait de manière discrète. Mais en revanche, j’ai vocation à communiquer sur le défensif. »
3- Des actions défensives
Il s’est fixé pour objectif :
– D’élaborer une grille d’auto-évaluation du niveau de protection des entreprises. Cette grille se veut un outil de sensibilisation à destination du chef d’entreprise.
– De renforcer la protection des informations stratégiques. Il a souligné que certaines dispositions fragilisent nos entreprises, comme le dépôt obligatoire des comptes aux greffes du tribunal de commerce. Cette disposition constitue clairement une distorsion de concurrence, mais il a évoqué la difficulté à faire évoluer les choses dans ce domaine.
Débat avec Olivier Buquen sur sa politique d’intelligence économique
Durant le débat, il a pu développer d’autres aspects de sa politique d’intelligence économique :
Les limites de son action
Selon lui, l’État doit se concentrer sur des missions pour lesquels il est légitime. « Il ne faut pas tout attendre de l’État » Et cela vaut pour son service. Il ne pourra donc pas s’investir partout, et notamment pour des questions de restriction budgétaire. « Mon équipe et moi-même sommes payés par vos impôts ! » a-t-il rappelé. Au cours des nombreux entretiens qu’il a mené depuis sa nomination, il a aussi acquis la conviction que beaucoup de grandes entreprises ont de très bonnes pratiques en matière d’Intelligence économique, et qu’elles n’ont pas forcément besoin de l’aide de l’État.
Les rapports avec la Chine
Olivier Buquen a souligné la difficulté d’avoir une position tranchée sur les rapports avec la Chine. Et a exprimé la position schizophrénique de la France, qui a besoin de pays aux fortes capacités de financement, et dont on sait qu’ils peuvent être de féroces prédateurs. Face à ces types de pays, il ne faut ni diaboliser les comportements ni être naïf. Néanmoins les solutions semblent être étroites. « Tous les chefs d’entreprises ont bien conscience que le commerce avec la Chine est un équilibre instable. On a le choix de mourir à court terme faute d’oxygène. Ou de mourir à long terme pour cause de concurrence. »
Il a relaté l’anecdote suivante, significative de la faible marge de manœuvre des patrons français : un chef d’entreprise français lui a dit qu’il savait pertinemment que le dirigeant de sa filiale chinoise était un membre important des services d’espionnage chinois ! Il a dit qu’il ne pouvait faire autrement, qu’il n’avait trouvé personne d’autre, et que cette personne était la seule à avoir toutes les compétences requises. La seule chose qu’il pouvait faire était d’intégrer cela dans son organisation.
Autre exemple qui exprime bien l’ambivalence des relations avec la Chine : Les Chinois sont le premier contingent d’étudiants étrangers en France. Cela contribue au rayonnement de notre pays. Mais cela est aussi une menace, car certains peuvent être (pour reprendre une expression de Claude Rochet) comme le buvard qui aspire tout ce qu’il touche.
Les médias sociaux
Les dangers peuvent venir de partout, et par exemple des réseaux sociaux. Olivier Buquen a insisté sur le fait qu’il n’y a pas que les jeunes qui prennent des risques en publiant trop ouvertement. Un patron du CAC 40 a raconté qu’il a dû se séparer d’un très proche collaborateur, parce que tous les soirs il racontait sa journée de travail sur sa page Facebook !
Il a conclu par une main tendue. Il a invité les entreprises à travailler avec son équipe à la diffusion de l’intelligence économique. « Travaillons ensemble, je ne suis pas un magicien qui va vous apporter toutes les solutions à tous vos problèmes ». Le message est clair : ensemble, soyons plus fort.
Mon analyse
C’est la première fois que je l’entendais pour une présentation aussi complète. Ses interventions précédentes étaient plus rapides.
J’ai apprécié son discours franc, posé et nuancé. Bon connaisseur du monde de l’entreprise, il a rappelé à de nombreuses reprises qu’il venait du privé.
J’avais eu des retours mitigés sur le fait qu’il axe son discours quasiment uniquement sur le défensif, mais je pense qu’il a bien expliqué les raisons de ce positionnement.
Sa proposition de travailler ensemble est intéressante. La communauté de l’Intelligence économique regorge de bonnes volontés et d’initiatives qu’il serait bon de fédérer. Et comme tous les community manager le diront, les communautés sont des réseaux humains qui reposent sur la confiance. Nous avons ainsi une image claire de la politique d’intelligence économique d’Olivier Buquen.
Par la suite, j’ai eu l’occasion de l’interviewer dans le cadre d’ActuEntreprise. Voir aussi celle d’Alain Juillet.
Jérôme Bondu
– Lire l’article du Monde Informatique, ou de CIO On Line.
– Le Cigref a communiqué sur le lancement d’un cycle de spécialisation « Sécurité Numérique » co-organisé avec l’INHESJ.
– Photo de Wikipedia.