L’Association « Ile de Science » a organisé avec brio le 1er Octobre 2009 un colloque sur les « Pratiques collaboratives pour la veille : expériences intra & inter entreprises » à l’INSTN Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires de Saclay. La journée était animée par Caroline Fayolle d’Air Liquide, et coorganisée notamment par Michèle Blondel de Danone.
Ce colloque avait pour objectif de répondre aux questions dans les domaines suivants :
– le développement des réseaux,
– les nouvelles pratiques autour du web2.0,
– le partenariat expert ? veilleur,
– la réalité des pratiques collaboratives,
– la sureté de l’information.
J’ai eu le plaisir de faire une communication sur le sujet des nouvelles pratiques autour du web2.0 : « E-reputation : Ce qui n’est pas partagé n’existe pas!« . Et comme je suis resté pour la journée, et je vous propose de partager mes notes (ce compte rendu est bien sûr informel et n’engage que moi). Le compte rendu démarre avec la 4ème présentation (car en dépit de mon intérêt pour les premiers intervenants -introduction de Michèle Blondel de Danone Research, présentations de Bernard Besson et Christophe Labarde sur les réseaux humains) je n’ai pu me libérer assez tôt pour les écouter.
Veille et pratiques collaboratives
Ce thème a été introduit par Laurent Couvé du CETIM. M. Couvé est manager d’une équipe de 11 veilleurs. Sur la composition de son équipe, il soulignera l’importance de la pratique des langues (nécessaire pour une veille technologique internationale), et l’importance de la multidisciplinarité (couplage expert & veilleur). Cette complémentarité des approches est en effet importante pour saisir toutes les facettes d’un sujet.
Laurent Couvé a montré un tableau intéressant qui présente de manière schématique la répartition des rôles entre le veilleur et l’expert :
– Ingénierie de la veille (plutôt en charge du Veilleur)
– Recherche d’info sur le web (Veilleur)
– Recherche d’info sur les sources payantes (Veilleur)
– Exploitation de manifestation (plutôt en charge de l’expert)
– Interview (Expert)
– Analyse des informations (Expert)
– Synthèse (Veilleur)
– Rédaction (Veilleur)
Lauriane Mignon, stagiaire chez Solvay, a exposé son travail.
Son stage a consisté dans l’identification des groupes de recherche les plus actifs, et les applications possibles, dans le domaine du peroxyde d’hydrogène en Asie.
L’entreprise 2.0
Veille et pratiques collaboratives dans l’entreprise
Alain Garnier, fondateur de Jamespot, nous a parlé des nouvelles pratiques collaboratives pour la veille dans l’entreprise 2.0. Son exposé était très complémentaire au mien. Il a introduit le sujet en soulignant le paradoxe : un salarié peut chez lui dans un cadre personnel utiliser des outils informatiques faciles et utiles (messagerie instantanée, outils de recherche d’information …). Et une fois dans l’entreprise, va être bridé par la DSI, et ne pourra utiliser que des solutions agrées, souvent lourdes et parfois obsolète. Il résume la situation de la manière suivante : « Les TIC sont simples à l’extérieur de l’entreprise, et compliquées à l’intérieur ».
Alain Garnier a présenté les Facteurs Clés de Succès d’une dynamique de veille :
– soutient du top management
– trouver l’incentive de chacun
– incarner le système par une personne
– commencer simple
– essayer sans brider
Et a fini par (ce qui est tout aussi instructif) les Facteurs classiques d’échec :
– non soutient du top management
– budget -1.0
– complication et complexité logicielle
– pas d’animation du système
– pour faire « joli »
Thème : Pratiques collaboratives, retours d’expériences
Ce thème a été traité par 5 intervenants.
Veille prospective innovation
Frédéric Goldschmidt, responsable de l’unité veille prospective innovation de l’IRSN a fait un premier retour d’expérience, sous l’angle : « L’intelligence stratégique dans un processus d’innovation, de l’intérêt de la veille collaborative. »
La veille se met en place avec le projet. Si la veille peut parfois « initier » un projet, dans la plupart des cas, c’est l’inverse. Le véritable déploiement commence avec la naissance du projet.
Le travail collaboratif engendre deux types d’attitudes qui mènent à la rétention :
– « Je ne donne pas d’information. J’en dis un peu mais pas tout. »
– « Je ne savais pas que cela pouvait intéresser les autres. »
La clé pour initier le partage est toujours de commencer par donner (offrir) de l’information. Faire le premier pas, en quelque sorte. Autant la mise en place d’un travail collaboratif n’est pas facile, autant ce partage se fait facilement dans le cadre d’une dynamique de veille. Cela passe par une définition claire des rôles, notamment du référent, et des acteurs impliqués dans la collecte et l’analyse. Frédéric Goldschmidt utilise pour sa veille deux outils : Intellixir (text mining sur des données scientifiques) et AMI Intelligence Enterprise. Il souligne l’importance du partage des résultats issus des outils, et de la mise en commun des résultats globaux.
Frédéric Goldschmidt pense que la veille peut être menée selon deux modèles :
-Soit un système « tout collaboratif », où chacun peut participer.
-Soit une organisation dédiée avec une cellule de veille qui publie « pour tout le monde ».
Son expérience en la matière lui fait préférer le premier modèle : « tout collaboratif ».
Aspects psychologies dans la veille et les pratiques collaboratives
Bernadette Casterot, Renault, nous a entretenus des aspects psychologiques dans la diffusion d’information en interne. Ce sujet est d’autant plus intéressant qu’il est peu traité, et pourtant ô combien crucial. C’est un des points que j’ai personnellement élevé en règle fondamentale «sans la forme, le fond ne passe pas».
Mme Casterot souligne l’importance des filtres de perception d’une information. Apporter une information à une personne qui ne peut la prendre en compte n’a pas de valeur. Il est donc essentiel de rentrer dans la psychologie du « récepteur » pour pouvoir « émettre » de manière adéquate. Nous avons tous des filtres. Ce sont ces filtres qui rendent (d’ailleurs) efficace notre fonctionnement. La remise en cause permanente qu’induirait l’absence de filtre serait trop consommatrice d’énergie.
– L’œil filtre très en amont.
– On privilégie le vraisemblable sur le vrai.
– Les théories dominantes dans un milieu vont aussi orienter notre manière de raisonner.
– Toute information qui vient mettre à mal ce qui fait consensus n’a que peu de chances d’être bien prise en compte.
Perméabilité et réceptivité
Mme Casterot explique qu’il y a quelques éléments qui viennent modérer cet état de fait. Il y a des situations dans lesquelles nous sommes relativement perméables :
– Lors de la réflexion initiale, préalable à un projet.
– Lors de la fabrication d’une vision partagée.
– Et bien sûr « quand la réalité devient évidente ».
En matière de diffusion, on peut sortir de la classique diffusion d’une newsletter. L’information circule très bien par le bouche-à-oreille et le « message » de l’expert. La veille peut s’appuyer utilement sur ces personnes pour diffuser ses messages.
Nina Quelenis, du pôle de compétitivité IAR, a présenté la dynamique d’intelligence économique du Pôle Industries et Agro-Ressources (IAR). Le pôle a développé une plateforme de veille en interne.
Retour d’expérience de la mise en place d’une démarche d’intelligence économique
Stanislas Desjonqueres, Président des laboratoires Lyocentre a fait un retour d’expérience de la mise en place d’une démarche d’intelligence économique dans son entreprise. Arrivé à la tête de cette PME, il ne s’est pas posé la question du coût d’une dynamique de veille. Il avait conscience qu’une PME est une entreprise fragile. Une PME est, comme il le dit de manière imagée, « un fusil à un coup ». Il n’a pas le droit à l’erreur. Faire de l’intelligence économique est pour lui un moyen de réduire l’incertitude, donc un outil essentiel.
Alors qu’il y a quelques années, le travail de collecte d’informations au niveau international demandait d’avoir des équipes et des représentations à l’étranger. Avec le développement d’internet ce travail s’est nettement simplifié, et n’importe qui peut maintenant avoir accès n’importe quoi. La rupture apportée par les TIC a mis la veille à la portée de toutes les PME.
Erreurs à ne pas faire dans la mise en place d’une dynamique de veille
A posteriori, Stanislas Desjonqueres a décelé dans la mise en place de l’Intelligence économique dans son entreprise, des étapes clés et des erreurs à ne pas faire :
– Choisir l’outil au bon moment. Ne mettre la charrue avant les bœufs.
– Favoriser l’appropriation de la dynamique par les collaborateurs.
– Impliquer les experts dans le travail d’analyse.
« A partir du moment où l’on rentre dans une logique, il faut y aller jusqu’au bout » nous a dit ce jeune patron. En l’occurrence, cela s’est matérialisé pour lui par le choix d’un outil de veille qui embrasse tout le spectre de fonctionnalité, permettant d’aller le plus loin possible dans l’analyse, et la création d’un poste à temps complet. En l’occurrence, ils ont eux aussi acquis la plateforme de veille AMI Software qui de ce fait a été bien représentée durant cette journée.
Pièges à éviter d’une démarche d’intelligence économique
Stanislas Desjonqueres est revenu comme les précédents intervenants sur les pièges à éviter dans les pratiques de Veille et pratiques collaboratives:
– Ne pas avoir le soutien de la direction générale
– Ne pas distinguer les compétences de collecte et d’analyse (cela implique de refondre l’organisation). Bien que président du laboratoire, M. Desjonqueres nous dit faire lui-même l’analyse des documents qui le concerne ! Nous sommes ici à des années-lumière de ces patrons qui se font imprimer leurs mails.
– Mal paramétrer les outils et avoir un trop-plein de mails.
– Ne pas utiliser les services des agrégateurs de données (penser que l’on peut tout avoir tout seul).
– Ne pas sous-estimer les frais annexes aux abonnements des logiciels (en gros prévoir des surcoûts).
Effets positifs de la veille
Stanislas Desjonqueres présente les effets secondaires (sous-entendu effets positifs) de la veille. Cela permet :
– La création d’un corpus de connaissance unique.
– De solutionner la question de la sécurité et sauvegarde des données.
– De mettre en place des stratégies défensives (« contre veille »). Il s’est exclamé « Quand on voit tout ce que l’on récupère sur les autres, on se demande ce que l’on peut récolter sur nous. »
– Mais aussi de rentrer dans une logique d’influence. La compréhension du « système des sources », permet de les utiliser (de les « retourner » en quelque sorte). D’ailleurs, la connaissance du fonctionnement des sources est essentielle (compréhension du business plan). Quand une source est bien faite et gratuite c’est que quelqu’un a intérêt à payer pour créer cette source. Quand un blog est irrégulier, plein de fautes, on peut être sûr que la source est indépendante.
– Enfin, cela permet d’élaborer des stratégies « de défense ». À ce titre, il a avancé quelques idées (lancer des leurres, brouiller les pistes, déposer les marques…).
En conclusion, il a mis en garde sur les effets négatifs de la veille. Selon lui, on pourrait se perdre à rechercher l’exhaustivité dans la collecte d’information. L’infobésité, qui signifie le trop-plein d’information, bride l’action. Enfin, sur le plan humain, il a avoué une grande marge de progression possible. Notamment dans l’apprentissage de la discrétion. Il faut « apprendre aux collaborateurs à ne pas être bavards ».
Processus de veille stratégique et technologique
Christophe Tilquin, Strategic Planning Manager d’AGC Flat Glass a lui aussi fait un retour d’expérience de 10 ans d’activité de Veille et pratiques collaboratives. Il a géré le processus de veille stratégique et technologique centré sur l’informel au sein du groupe verrier Asahi Glass.
Le projet de veille technologique a évolué vers des dimensions stratégiques.
– Il a utilisé des outils de veille « simples », car a-t-il rappelé avec raison la veille est généralement « une activité secondaire pour des personnes qui ont une fonction première ». Il faut donc que ce soit une activité « accessible ».
– À ce titre, l’outil n°1 de partage d’information est tout simplement : la messagerie.
– Toujours dans cette idée de simplicité et d’uniformisation, une langue unique de travail a été imposée (au profit de l’anglais).
– La collecte d’information est notamment alimentée par la production de fiches de terrain.
– Dans un souci pédagogique, il a fait un manuel de sensibilisation.
– Les informations sont classées dans une GED (LiveLink) et sont retrouvables en ligne par les utilisateurs.
– Au niveau des ressources humaines, il y a dans la société l’équivalent de deux temps pleins et demi, pour animer le réseau de veille.
– La veille bénéficie du soutien de la direction « dans les discours et dans les actes ! »
– Il s’appuie sur des réflexes simples des collaborateurs.
– Parallèlement il encourage la relation « donnant-donnant ».
– Il a aussi développé cette idée beaucoup moins commune : il a aussi insisté sur le danger de « l’isolation du veilleur ». Il est sensible au fait de ne pas laisser le veilleur avec comme unique perspective son projet de veille. Les veilleurs sont donc intégrés dans d’autres projets de production de l’entreprise.
– Enfin, il a impliqué les ressources humaines dans la reconnaissance de la dynamique d’intelligence économique (ce qui est aussi assez rare).
Spécialisation et transversalité sont deux mouvements en opposition
Jean-Philippe Mousnier, sociologue, a conclu ce colloque notamment sur le rôle de l’expert dans la dynamique de partage. Ce rôle est de plus en plus difficile à tenir, car les savoirs se spécialisent, alors qu’une bonne analyse demande des savoirs transverses. Spécialisation et transversalité sont deux mouvements en opposition !
Bravo pour ce colloque Veille et pratiques collaboratives très intéressant !!
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Jérôme Bondu
Source image : Site Ile de Science