Présentation de l’intervenant
Jean-François DONZIER est Directeur Général de l’Office International de l’Eau (OIEau) et Secrétaire Technique Permanent du Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB), il aborde ici la problématique des guerres de l’eau.
Ingénieur Général du Génie Rural des Eaux et des Forêts, et ingénieur Agronome de l’Institut National Agronomique de Paris, M. Donzier a de nombreux mandats internationaux : il est Vice-président du Centre Mexicain de Formation à l’Eau et à l’Assainissement (CEMCAS – Mexique). Administrateur du Global Water Partnership, de la Fondation des Eaux de Gdansk (GWF – Pologne) et du Secrétariat International de l’Eau (SIE – Canada), du Centre International des Technologies de l’Environnement du PNUE à Osaka. Membre de l’Académie de l’Eau de Norvège, ainsi que de la Commission française pour l’UNESCO et expert auprès de la Ville de Paris pour les services des eaux.
L’OIEau est une structure internationale qui emploie une centaine de salariés permanents. L’OIEau apporte ses compétences dans les systèmes d’information, la formation professionnelle, et la coopération institutionnelle.
Le site OIEau reçoit plus de 5,6 millions de visiteurs par an.
Introduction – Les guerres de l’eau
Jean-François Donzier commence son allocution par cette formule lapidaire, qui résume bien son propos : « Ca ne va pas bien ! Et cela ne va pas s’arranger dans de nombreux pays du monde ! » Explications …
L’eau est une ressource mal connue
L’eau est une ressource qui est – en dehors de quelques idées reçues – mal connue de la population. En effet, en dehors du fait que l’on sache qu’il y a de vastes parties de la planète qui sont en manque d’eau, Nous véhiculons pas mal d’idées préconçues sur cette ressource. Par exemple on pourrait penser l’Angleterre à l’abri du stress hydrique ! Et pourtant notre voisin d’outre-manche connait des sécheresses estivales ! Certains départements en France connaissent des situations complexes : le Gard connait 11 mois par an une pénurie d’eau, et le 12ème mois subit des crues incontrôlables.
Si l’eau est présente partout sur Terre, elle est à 95% salée, donc impropre à la consommation. Sauf à faire des traitements appropriés qui sont à l’heure actuelle encore très onéreux. L’essentiel de l’eau douce est gelée dans les glaciers, une infime partie du total est liquide (1%), et est essentiellement souterraine. Pour aborder ce sujet, en réalité très complexe, il faut donc commencer par se défaire de ce que l’on croit savoir.
Les guerres de l’eau seront un problème crucial
Les guerres de l’eau seront un problème crucial pour l’être humain. Quelques chiffres permettent de mesurer la multipolarité du problème des guerres de l’eau dans le monde :
- L’eau (son absence ou sa pollution) est la première cause mondiale de mortalité. Trois millions d’enfants meurent chaque année d’un manque d’accès à l’eau potable.
- Un quart de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau potable.
- Un quart de la population mondiale n’a pas accès à l’assainissement basique (par exemple avoir des toilettes).
- Quatre vingt cinq pour cent des eaux anthropiques (utilisées par les hommes) retournent dans les milieux naturels sans aucun traitement. Ce problème vient surtout des grandes mégalopoles. Le cas de Mexico est emblématique. Ses 22 millions d’habitants (soit 1/3 de la population française !!) rejettent leurs égouts dans la nature sans traitement.
Non seulement l’eau se fait rare du fait de l’augmentation très rapide de la consommation, mais le gaspillage est énorme. Ainsi il est estimé que deux tiers de l’eau d’irrigation est perdu par infiltration durant son transport (par exemple due à des fuites de canalisation). Ou par évaporation dans les systèmes traditionnels. La population mondiale a triplé sur le dernier siècle, et la consommation d’eau a été multipliée par 6 sur la même période.
L’impact des guerres de l’eau sur les changements climatiques
Facteur aggravant, les changements climatiques vont renforcer les problèmes de gestion de l’eau ! On risque de voir une accélération des « phénomènes extrêmes ». D’un côté il y aurait une augmentation de la fréquence et de l’ampleur des inondations. De l’autre, certaines régions du monde, comme les pourtours de la Méditerranée risquent de connaître une diminution de 25% des précipitations estivales.
Le phénomène engendrera forcément des destructions des terres agricoles : que ce soit dû à la sécheresse, aux inondations, à l’érosion, à la remontée des eaux salées … Cela pourrait engendrer une perte de 20% de la productivité agricole dans l’Europe du sud. Dans une phase critique où il est estimé que la population mondiale va grossir de 50%. pour passer de 6 à 9 milliards, nous allons assister à un véritable « effet ciseau » avec d’un côté une diminution des terres cultivables pour une population à nourrir augmentant. Sachant que de nombreuses révolutions ont eu pour but une plus juste répartition des terres ou des famines. On peut imaginer les implications sociales que cela pourrait engendrer.
Les réfugiés écologiques
Un autre élément des plus inquiétants des guerres de l’eau est la perspective d’une augmentation de 50 centimètres du niveau de la mer. Qui pourrait faire déplacer des millions de personnes sur les côtes et les deltas ! Sans même parler du drame humain que cela va entraîner. On mesure mal à quel point ces « réfugiés écologiques » vont être facteur de déstabilisation des États touchés. Et encore une fois, l’idée que cela ne concernerait que des pays lointains est fallacieuse. Une bonne partie du territoire de nos voisins hollandais est sous le niveau de la mer. Certes protégé par des puissantes digues, mais bien sûr les modèles de prévision ne sont que des estimations statistiques ! Des pays non côtier, comme la Hongrie, ont aussi une bonne partie de leur territoire (40% dans le cas du pays Magyar) soumis à des risques graves d’inondation du Danube ou de la Tizsa.
Volonté politique
Il y a donc une obligation de changer les pratiques pour éviter des catastrophes. Si elles ne sont pas certaines (nous sommes dans la prospective) n’en restent pas moins très probables ! Est-ce que prendre le pari que cela n’arrivera pas est la bonne attitude ?
Or pour l’essentiel, ce n’est pas un problème de technicité. Mais un problème de volonté politique et d’organisation. Volonté politique d’une part. Volonté de la société civile d’autre part. Quand aux organes de presse et télévisuels, Jean-François Donzier déplore que la préoccupation sur l’eau « ne fait pas assez partie de la culture médiatique ».
Mais cela pourrait changer car des conflits ont déjà eu lieu ayant pour enjeux l’or bleu. La captation des eaux du Jourdain entre Israël et
la Jordanie en est un exemple parmi d’autres, heureusement très rare comparé aux disputes locales pour l’accès à l’eau. L’eau ne connait pas les frontières, mais les Hommes si ! Quelques exemples : à l’échelle planétaire, 263 fleuves et des centaines d’aquifères sont partagés entre au moins deux pays. Les deux cinquièmes de la population mondiale dépendent des eaux partagées. 15 % des pays dépendent à plus de 50% de ressources de pays d’amont. Cette interpénétration est autant un risque qu’une chance. Elle peut être le ciment d’une politique de coopération et de partage des bénéfices, d’une vision commune partagée. Comme elle peut être le ferment, de conflits à venir, entre pays « dépendant » à l’aval et pays « ressources » en amont des grands fleuves.
Le besoin d’une action à l’échelle mondiale
L’intervenant esquisse quelques axes sur lesquels une volonté politique doit permettre d’aboutir à des décisions pour éviter cette guerre de l’eau. Comme sur la tarification de l’eau. Là encore les injustices sont criantes puisque se sont les plus pauvres qui payent l’eau la plus chère. Actuellement l’investissement total est de 75 milliards de dollars par an dans les Pays en développement. On estime qu’il devrait être de 180 milliards de dollars pendant 25 ans pour éviter une crise mondiale de l’eau douce. Et ainsi faire reculer la pauvreté. Et plus nous attendons, plus la facture sera … « salée ».
Il semble indispensable d’assurer à l’échelle mondiale :
- Un suivi de l’impact des activités humaines sur l’environnement et sur les ressources en eau en particulier.
- Des efforts colossaux pour le traitement de la pollution anthropique.
- L’évaluation des moyens financiers nécessaires et des conditions et mécanismes de leur mobilisation.
- La fixation de normes d’efficacité des dispositifs à mettre en œuvre.
- La définition des conditions pour garantir l’exploitation, la maintenance et le renouvellement des installations, afin d’assurer le bon fonctionnement des investissements réalisés.
Conclusion
Jean-François Donzier conclue sa brillante présentation en nous rappelant qu’en France « nous râlons » souvent sur le gout et le coût de l’eau qui sort de notre robinet. Mais qu’il ne faut pas oublier que nous sommes des « archis privilégiés » au niveau mondial. Ce qui ne doit pas nous empêcher d’œuvrer à tous les niveaux pour participer à une meilleure gestion globale du problème.
De l’eau douce dépendra très certainement l’avenir de la société des hommes : soit ils s’entendent, et cela permettra une meilleure gestion de l’eau. Soit ils ne s’entendent pas, et nous assisterons alors à de fortes tensions entre les états et les groupes sociaux pour accéder aux ressources indispensables à la vie et au développement économique !
Jérôme Bondu
Voir aussi :
- Prochaine conférence du Club IES : Guerre de l’Eau ?
- Va t’on vers une crise mondiale de l’eau ?
- Louanges de l’eau et intelligence collective.
- Guerres et conflits : sommes-nous violents par nature ou par culture ?
- Conférence : Préhistoire de la violence et de la guerre