Comment utiliser l’intelligence économique au service de l’innovation ? Ce compte rendu de la conférence de Ludovic Emanuely au Club IES présente de nombreuses réponses.
L’intelligence économique au service de l’innovation
Compte rendu rédigé par Jérôme Bondu et Karine Berthier, issu de la conférence du 09/12/2003, du CLub IES – AAE IAE
Présentation de l’intervenant
A 45 ans, Ludovic Emanuely dirige le Département Marketing, Multimédia et Sourcing de SERVAIR depuis octobre 2000. SERVAIR, filiale d’Air France à 94, 5 %, est la première entreprise française de commissariat aérien et jouit de 34 implantations dans le monde entier. 7000 personnes, 450 millions d’euros de CA.
Agent général d’assurance, courtier en investissement, directeur de promotion de produits touristiques, puis créateur de 2 grands salons internationaux sur le commerce international, Ludovic Emanuely se spécialise au fil des années dans le sourcing, l’intelligence économique, le renseignement économique et commercial, et l’innovation en utilisant de manière optimale les technologies multimédia.
– Il est aussi expert honoraire auprès du Centre de Commerce International (Organisation Mondiale du Commerce) depuis 1999.
– Fondateur et animateur du Groupe « La Fontaine » : Créé il y a un an environ, sous l’impulsion de Ludovic Emanuely, le Groupe « La Fontaine » constitue une structure informelle qui rassemble les responsables de l’Intelligence économique et Stratégique des poids lourds de l’industrie française (tels Total, Danone Rhodia, Michelin, LVMH, INEO, EDF, Thales…).
– A ce titre, Ludovic Emanuely a été auditionné dans le cadre du Rapport Carayon sur l’Intelligence économique, remis au Premier Ministre le 30 juin dernier.
Introduction : L’intelligence économique au service de l’innovation
« L’intelligence économique, c’est quoi ? » se demande Ludovic Emanuely. Pour notre intervenant, l’intelligence économique c’est en partie anticiper et innover, car c’est l’innovation qui crée la richesse des entreprises. Or innover demande bien souvent de « rechercher des informations à l’extérieur de l’entreprise ».
Nous verrons dans le compte rendu ci-dessous quelques éléments importants des différentes phases de recherche d’information : depuis l’identification des besoins, en passant par la recherche en elle-même et l’analyse, pour finir par la diffusion aux individus concernés.
1. L’intelligence économique, c’est quoi ?
L’intelligence économique « c’est le foutoir »
Notre intervenant commencera sa présentation d’une manière très directe et un peu provocatrice « L’IE, c’est le foutoir ! ».
Chaque entreprise ou chaque association a sa propre définition. Les pratiques ne sont pas clairement définies, … Le message donné par les politiques venus s’exprimer au colloque organisé par l’IHESI le lundi 1er décembre 2003 à l’Ecole Militaire a le mérite de clarifier la « cacophonie ambiante » et d’orienter le débat sur le terrain de l’efficacité. Il a été dit que l’IE allait devenir une politique publique, une priorité nationale, lancée et soutenue afin que les entreprises collationnent des informations et prospèrent. Un des avantages du rapport CARAYON (présenté lors de ce colloque) est qu’il a touché le pouvoir politique et notamment le ministère de l’Intérieur.
Mais la réalité de l’intelligence économique vécue par M. Emanuely est beaucoup plus prosaïque. La vie d’une entreprise est une bataille de tous les jours. Les décisions se prennent à partir d’informations, et la bataille économique se retrouve donc au niveau de la chasse aux informations. En France, explique notre intervenant, on « joue » à l’intelligence économique avec des règles nettement tracées, « en gentilshommes ». Les Anglo-Saxons pratiquent ce sport avec « des gants de boxe ». Et au sein des « matchs économiques », les Américains font souvent figure d’arbitre. Cette « guerre » économique se termine souvent par le forfait des Français, ou leur absence sur le terrain.
Nécessité de l’innovation
Une entreprise voulant progresser doit innover (condition nécessaire mais non suffisante).
Pour cela, elle a trois possibilités :
– L’achat de brevets, d’idées et de conseils (mais cela coûte cher).
– La création interne d’idées nouvelles. M. Emanuely explique que chez Servair, il a créé un club des inventeurs réunissant cadres, employés et agents de maîtrise. Par ailleurs, chaque cadre peut rédiger des notes d’étonnement (lorsqu’il revient de voyage ou simplement pour exprimer ses idées) à destination du service sourcing.
– La recherche d’information à l’extérieur.
C’est précisément ce dernier point que M. Emanuley va décrire en détail.
2. La recherche d’information à l’extérieur
Processus de recherche d’information
On peut découper ce processus en différentes phases successives :
– identifier
– rechercher
– recouper et analyser
– diffuser
L’identification des besoins
Dans le système mis en place par M. Emanuley, l’identification des besoins passe d’abord par la rédaction d’une fiche. Chaque chef de département peut ainsi exprimer une demande d’information (constituée notamment des éléments suivants : résultat informatif attendu, éléments déjà à disposition, date-butoir). Pour les demandes de difficulté moyenne, a été mise en place une « hot line sourcing » fournissant une aide personnalisée et guidée à un utilisateur occasionnel de l’intelligence économique.
Ensuite, le rédacteur de la fiche est interrogé par la cellule ad hoc de Servair afin de mieux préciser son besoin. Il s’agit de bien cadrer la recherche pour juger sa recevabilité. Savoir aussi s’il faut procéder de manière « anonyme » ou « affichée ». Aller à la rencontre du demandeur d’information n’est pas une opération superflue. Les demandes sont parfois absconses. A titre d’exemple, M. Emanuely a déjà eu des questions du type « Cette entreprise est-elle bonne ? » sans plus de précision… Il est clair que ce type de demande mérite des éclaircissements avant de se lancer dans une recherche d’information !
Développer la recherche
La recherche est souvent une démarche empirique où plusieurs pistes sont explorées de concert. Pour illustrer ce point, notre intervenant nous développe un exemple vécu : il a eu un jour à rechercher les moyens d’acquisition d’un véhicule très particulier (un véhicule de piste, d’occasion, d’accès aux avions de ligne commerciaux pour personnes handicapées). Pour corser cette recherche, la demande est arrivée en plein mois d’août ! Cette recherche s’avérait périlleuse tant le sujet était étroit. M. Emanuley a d’abord découvert que ce type de matériel était produit à la demande et non en série. Il a bâti un plan d’attaque. Il a découvert que ce véhicule pouvait être trouvé dans les aéroports européens : mais cette piste n’a pas aboutie. Il s’est ensuite adressé à des fabricants de mécanique camions-automobiles : échec à nouveau. En sollicitant des réseaux amis, il a réussi à en trouver un exemplaire, en Afrique, qui pouvait répondre au cahier des charges, après mise aux normes.
Identifier les grandes voies de recherches
Dans la recherche d’info, il convient d’identifier des « autoroutes », c’est-à-dire des grandes voies de recherches, puis des « nationales », des « départementales », et enfin des « chemins de campagne » avant de trouver enfin « l’endroit » voulu. Dans le meilleur des cas, l’élément recherché sera retrouvé à un « point de jonction », une sorte de « nœud de communication » accessible par différentes « routes ». Dans le pire des cas, une seule route y mènera et il faudra toutes les essayer avec de tomber sur la bonne.
Sources froides et sources chaudes
M. Emanuely distingue les sources « froides », terme qui symbolise le recours à des machines, et les sources « chaudes », le contact humain dans toutes ses dimensions. L’exemple précédent montre que c’est parfois le plus efficace.
Les sources chaudes
Le maniement des « sources chaudes » consiste à remonter des filières et identifier la bonne personne. L’information peut venir de toutes personnes : de la femme de ménage, du salarié en conflit aux Prud’hommes, d’un employé qu’on aborde à l’heure de sa pause au café du quartier. Les gens ont peu le loisir d’échanger, commente notre invité sur un ton philosophique, et il suffit de leur en donner l’opportunité pour qu’ils s’expriment ! D’autres exemples le prouvent : il suffit parfois d’écouter des gens qui discutent dans les salles d’attente, ou d’aborder un individu voyageant seul dans un train avec qui on arrive à lier conversation pour apprendre des choses passionnantes sur la concurrence.
Les sources froides
Les « sources froides », c’est Internet et les moteurs de recherche de diverses natures. Il ne faut jamais oublier qu’on peut trouver l’information « à côté », « latéralement ». D’où l’importance de toujours rester ouvert.
Recouper et Analyser
Notre intervenant insiste sur deux points névralgiques :
– Il faut faire très attention à identifier la source originelle : si plusieurs personnes sans liens apparents vous rapportent la même information, cela ne veut pas forcément dire que cette information est exacte. Cela veut peut être tout simplement dire qu’elles puisent leur information à la même source !
– Toujours avoir en tête – excellent exercice pédagogique permettant de rester en éveil – que la concurrence est plus intelligente que vous. En outre, certains concurrents, peu ou moins scrupuleux que vous, peuvent user de méthodes amorales.
Diffuser / Redistribuer
Lorsqu’on apporte le produit fini au chef d’entreprise, il est bon de quantifier la marge d’erreur.
Il est également utile de prêter attention à la position psychologique du décideur destinataire. Il est recommandé d’adapter l’information à sa perception ; le chef d’entreprise doit pouvoir traduire l’information à un niveau constant.
3. Éléments complémentaires et résumés des débats
Le terrain de l’innovation
De nombreuses batailles économiques se situent souvent très en amont des phases de développement ou de commercialisation :
– Cela se passe au niveau des innovations, ou des processus de normalisation, où force est d’avouer que les Américains sont très performants.
– Dans ces phases il est bon d’intégrer ou de suivre les fondations de recherche, structures ouvertes, ou des groupements tels que l’UNESCO ou des fonds d’investissement.
– A ce titre, le pouvoir d’influence des ONG est saisissant – affirme notre intervenant – et peut es-qualités s’introduire partout pour obtenir des informations.
La place de la Chine sur le web
La Chine, dans 10 à 15 ans, sera un rouleau-compresseur économique. On estime que 30% à 50% du contenu d’Internet sera en langue chinoise d’ici 20 ans.
Le rôle de la formation en intelligence économique
En matière d’intelligence économique, la formation scolaire est forcément utile, mais doit être complétée par une expérience terrain. Le veilleur-chercheur doit avoir « envie », être curieux, être toujours « a u service de » et avoir un excellent moral. Les femmes s’avèrent en général très douées (pugnacité, sens relationnel, intuition…).
Pour les PME de taille significative (150 salariés), il faut avant tout une formation spécialisée pour les PDG. Et notamment une formation pour éviter la divulgation fortuite d’informations (dans les trains, au niveau des cafétérias,… ). Piéger « gentiment » le PDG favoriserait une prise de conscience et serait la meilleure des formations.
Retour sur investissement de l’intelligence économique
Des indicateurs de plus-value d’intelligence économique sont « élaborables » pour des produits tangibles. En revanche, une demande d’information sur une personne physique ou une information « filet » (qui ne servira pas nécessairement) constituent des cas plus difficiles à évaluer. Dans tous les cas, le calcul exact du retour sur investissement n’est pas facile, mais il est réel (une réunion du Club IES se penchera sur ce point).
Sécurité Internet
Il faut savoir que lorsque l’on envoie un mail mal adressé (avec une erreur dans l’adresse du destinataire) le « rapatriement » se fait automatiquement sur des serveurs aux États-Unis (les « .com » en particulier). La solution du « tout-crypté », préconisée par le SGDN, semble trop maximaliste. Ne dit-on pas : « trop de sécurité tue la sécurité » ?
Les Américains développent des stratégies offensives tandis que les Chinois investissent massivement les universités nord-américaines en y envoyant des cohortes entières d’étudiants, indice des visées chinoises.
Conclusion : L’intelligence économique au service de l’innovation
Ludovic Emanuely conclue sa présentation avec un enthousiasme communicatif : L’intelligence économique au service de l’innovation et ses pratiques sont affaire de professionnels. La solidarité des réseaux est déterminante. Le rêve du veilleur peut ainsi devenir une réalité.
Espérons que le Rapport Carayon aide à la prise de conscience des divers acteurs économiques et politiques de l’importance de l’intelligence économique, et permette à la France et à ses partenaires européens de gagner des points sur le terrain économique.
Compte rendu rédigé par Jérôme Bondu et Karine Berthier
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Ludovic Emanuely est membre du Cercle K2.