J’ai lu « Stratégies d’entreprises dans un monde fragmenté » de Xavier Desmaison et Alexandre Medvedowsky. Le livre est sous-titré « Surmonter les risques liés à la pandémie et la guerre en Ukraine ».
Stratégies d’entreprises
- Alexandre Medvedowsky est président d’ESL & Network France et ancien président du SYNFIE. Il est diplômé de l’IEP Paris et de l’École Nationale d’Administration.
- Xavier Desmaison est président d’Antidox, cabinet de conseil en stratégie de communication, avec une forte dimension numérique. Il préside aussi Civic Fab, association spécialisée dans la lutte contre les fake news et théories du complot sur internet. Il est directeur de collection chez Hermann.
Avertissement : J’ai essayé de faire une synthèse du livre la plus fidèle possible. Cette note de lecture ne reflète pas mes idées, et encore moins celles des structures avec lesquelles je travaille, mais les idées des auteurs. Les phrases entre guillemets sont issues du livre.
Pour une diplomatie d’entreprise
La thèse développée dans l’ouvrage est qu’il existe une « diplomatie d’entreprise » comme il existe des « stratégies d’entreprises ». Le chef d’entreprise doit être tout à la fois diplomate et chef de guerre. Extrait : « Cet ouvrage souhaite montrer que l’art du diplomate est le plus proche des compétences requises pour répondre à ces questions, grâce à un fin mélange de compréhension des intérêts et du fonctionnement des autres parties, de clarification de ses propres valeurs et intérêts, et de communication et négociation ». Un des intérêts du livre est qu’il présente et déchiffre de très nombreux cas réels.
En introduction les auteurs placent le dirigeant d’entreprise comme « un diplomate dans un monde en fragmentation ». Le constat est amer concernant la France : « Nous nous sommes convertis à une approche naïve de la globalisation ». Il convient de réagir.
Dans la première partie « De nouveaux modèles d’alliance dans un environnement de chocs de souveraineté » les auteurs rappellent l’affaire Photonis et Huawei et révèlent la complexité de ces affaires.
Mythe de la guerre éclair
Dans « Le mythe de la guerre éclair – négocier au long cours » ils s’appuient sur les mésaventures de Naval Group pour insister sur l’importance d’avoir une vision long terme.
Dans « Soft power et guerre cognitive – quête et conquête des esprits » ils présentent les actions d’influence du Qatar, avec notamment la chaîne AJ+ destinée aux jeunes, et de la Russie, mais aussi l’affaire Gamestop. Sur le pouvoir d’influence du Moyen-Orient, on pourra lire aussi les deux notes de lecture des ouvrages de Pierre Conesa :
- A lire : La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite de Pierre Conesa.
- A lire : La fabrication de l’ennemi de Pierre Conesa.
Cinq leviers d’influence
Dans cette partie, qui m’a particulière intéressé, les auteurs rappellent qu’il y a cinq leviers d’influence pour les États :
- La dimension religieuse. Sur ce point, la France n’a pas d’allié pour promouvoir ou défendre sa vision laïque du monde.
- Le champ de la charité et de l’humanitaire, où nous pouvons nous appuyer sur Médecins Du Monde et Médecin Sans Frontières.
- Le champ économique des entreprises et des investissements étrangers. Ils déplorent que la France soit en partie « noyautée » par 40 000 consultants de grands cabinets de conseils américains.
- Un champ informationnel, où l’offre publique (France 24, TV5 … ) pourrait être optimisée.
- Le levier de la culture, de la langue, de l’éducation et de l’art de vivre.
Pour ce qui est de la Russie, les auteurs rappellent la doctrine Gerasimov de la guerre hybride.
Ils expliquent aussi l’acronyme RAGE qui révèle :
- Une demande de reconnaissance (Recognition) ;
- Dans un contexte de réalité alternative (Alternativ reality) ;
- Avec le mécanisme de jeu (Game) ;
- Et dans un environnement composé d’une multitude bulles financières et informationnelles (Effervescence).
Renforcer la diplomatie d’affaires française
Dans la quatrième partie « zones grises et marges de progrès – renforcer la diplomatie d’affaires française » ils soulignent la perte d’influence de la France et le manque de soutien de l’État. Ils fustigent notamment les problèmes de coordination entre acteurs publics et privés.
Enfin, dans la dernière partie « Au cœur des nouveaux risques globaux – penser l’avenir de la diplomatie d’entreprise » les auteurs se projettent et conseillent le lecteur. Ils ne sont pas tendres avec l’État français : « Pour le dire schématiquement, nous avons adopté tout ce qui n’était pas très bon dans le libéralisme et gardé tout ce qui n’allait pas dans le fonctionnement de l’État ».
Ils sortent souvent du cadre stricto sensu de l’entreprise pour aborder des problèmes civilisationnels. Ils soulignent que les États démocratiques sont une minorité : Il y a 34 démocraties libérales en 2021. « Cela signifie que seuls 13% de la population mondiale vivent dans une démocratie, soit à peu près le niveau de 1989 ».
Plaidoyer pour la diplomatie d’entreprise
En conclusion, cet ouvrage est un plaidoyer pour la diplomatie d’entreprise et l’engagement des chefs d’entreprise. Si les auteurs rappellent régulièrement la pertinence des outils d’intelligence économique, ils veulent aller au-delà. « À ce titre, faire preuve d’intelligence – économique – est un pré requis, mais cela ne suffit plus. Il est désormais indispensable de conjuguer des qualités qui puisent leur singularité dans l’art de la diplomatie au sens noble du terme : une capacité à mêler souplesse d’esprit, détermination, patience, discernement et ruse ; un ensemble de dispositions qui se rapprochent de la mètis que célébraient les Grecs ; c’est-à-dire une forme d’intelligence pratique, en action, qui combine débrouillardise, dextérité, et habilité face à des situations ambigües et incertaines ». Finissons avec un petit jeu de mots trouvé dans le livre : le PDG est aussi « Président Diplomate Général ».
C’est à lire.
« Stratégies d’entreprises dans un monde fragmenté – Pour une diplomatie d’entreprise » est publié aux éditions Hermann en 2022.
Jérôme Bondu
