Compte rendu « Intelligence économique et industrie touristique » rédigé par Jean-Paul Dardé et Jérôme Bondu, de la conférence du 04/10/2004 au Club IES.
Sur le sujet : « L’IE AU SERVICE DE L’INDUSTRIE TOURISTIQUE »
Animée par Jean-Paul Dardé, Thierry Baudier et Serge Ragozin
Présentation des intervenants
Jean-Paul Dardé est actuellement Responsable Promotion & Développement au Musée de l’Air et de l’Espace (Paris-Le Bourget). Il a effectué différentes missions d’études et de conseil auprès de cabinets et de sociétés spécialisées dans le secteur touristique. Après un cursus en Philosophie et Politique, il a suivi, en 2001, une formation de niveau DESS à l’Université de Marne-la-Vallée, spécialisée en ingénierie de l’intelligence économique, et a mené son travail de recherche sur la problématique Veille et Tourisme. Il a co-organisé la conférence Intelligence économique et industrie touristique.
Thierry Baudier assure depuis début 2004 la fonction de Directeur Général de Maison de la France, GIE en charge de la promotion de la destination France à l’étranger. Il y était auparavant Directeur Marketing. Ancien collaborateur d’Alain Juppé à Matignon et ancien auditeur de l’IHEDN, il a une formation de juriste et en sociologie.
Serge Ragozin est Directeur Général des supports internationaux du pôle hôtellerie du groupe Accor, depuis juillet 2003. Diplôme d’HEC, il fut chargé du marketing au sein de General Foods & Nabisco, responsable Europe chez William Holding et à la direction du groupe des hôtels Concorde.
1. Un phénomène économique primordial dans le monde
La croissance économique mondiale qui repose d’une part sur un accroissement des gains de productivité permettant de libérer du temps, et d’autre part sur une progression régulière du pouvoir d’achat, constitue le moteur de développement de la demande touristique. Or, si chacun a un jour fait l’expérience d’être un touriste, c’était probablement sans savoir précisément ce qu’englobe cette activité sectorielle et quelle est sa réelle importance dans le monde en général, et en France plus particulièrement. Selon la définition officielle qu’en donne l’Organisation Mondiale du Tourisme, le tourisme comprend « les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel, pour au moins une nuit et au plus un an, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs (religieux, sportifs, familiaux, scolaires…) ».
Longtemps perçu comme une activité élitiste puis comme un secteur artisanal et secondaire, le tourisme est aujourd’hui une industrie mondialisée et, malgré les aléas conjoncturels qui l’affectent régulièrement, il apparaît comme un puissant levier de développement économique pour nombre de pays. Il se décline en termes de production et de consommation de masse avec 694 millions de voyageurs recensés pour 2003. C’est également un phénomène économique de tout premier ordre avec 10,7 % de la production de richesses mondiales et 8,2 % des emplois dans le monde (207 millions de salariés).
2. Un enjeu majeur pour la France
A l’aube du 21ème siècle, la France jouit depuis une dizaine d’années d’une position dominante grâce à d’importants atouts concurrentiels dont sa position géographique située entre les pays du nord à forte densité de population et ceux du sud qui attirent massivement grâce à leur ensoleillement. Cette condition privilégiée lui permet d’afficher 75 millions d’entrées de touristes étrangers (mais dont seulement la moitié passent plus de trois nuitées dans notre pays !) et une recette de 36,6 milliards de dollars. Ce poids économique est essentiel puisqu’il représente le 1er excédent dans la capacité de financement de la nation (avec un solde positif de 13,1 milliards d’euros, donc devant les secteurs automobile et agro-alimentaire) mais aussi 6,7 % du PIB et 12 % du total de l’emploi national avec plus de 190 000 entreprises sectorielles (dont 92 % de PME de moins de 10 salariés).
3. Un produit composite qui induit des axes de veille multiples
Au travers de sa définition même, l’industrie du tourisme se définit et se structure autour de deux spécificités : la combinaison complexe de biens et de services qui constituent le produit touristique, et une logique de flux qui seule rend observable le produit lui-même.
L’agencement des activités qui d’amont en aval participent au processus d’élaboration du produit répond à une logique verticale qui permet à une ressource quelconque (naturelle ou culturelle) de faire l’objet d’une consommation touristique. Sauf qu’à la différence des produits industriels dont le sens de circulation va de la matière première vers le consommateur final, dans le tourisme c’est le touriste qui va aux ressources touristiques ! Ainsi, l’activité de déplacement constitue une grande partie de la création de valeur et un espace donné n’a de valeur en soi que si la chaîne des activités économiques constituant la filière touristique se développe.
Du fait de la nature composite du produit touristique, le développement de la filière suppose la participation de nombreux acteurs privés et publics et la combinaison multiple d’activités.
En conséquence, la compétition entre acteurs (locaux, régionaux, nationaux et internationaux), la diffusion rapide des technologies de l’information, la restructuration de l’offre et les ruptures sociétales liées à la demande, démultiplient les opportunités d’innovation et par la même, élargissent le champ de l’intelligence stratégique et les axes de veille. La majorité de ces tendances à surveiller se situent en amont de la chaîne composite du produit, c’est à dire au niveau de la sophistication croissante de la demande (clients) et, en aval, pour ce qui concerne la structuration territoriale (destinations). De façon transversale, le e-tourisme (bouleversant la conception asymétrique de l’information disponible) et le modèle économique du low-cost sont les tendances fortes. Il faut également noter que l’organisation systémique du secteur, à savoir un état composite de sous-produits regroupés en forfaits ou pas, mais dépendants et solidaires d’un environnement incertain, oblige les professionnels à pratiquer des veilles marketing, juridique, concurrentielle et technologique focalisées sur leur propre filière (monitoring) mais aussi une veille globale permanente (scanning) qui inclut l’analyse de l’ensemble des signaux émis par les autres maillons susceptibles de peser sur leur propre évolution.
4. Un organisme para-public exemplaire : Maison de la France
Un organisme pour l’Intelligence économique et industrie touristique.
Structurée en Groupement d’intérêt Economique (GIE), Maison de la France a été créée en 1987 et placée sous l’autorité du ministre en charge du tourisme. Elle a pour missions la promotion commerciale de la destination France principalement à l’étranger, l’information du public, les relations publiques et presse ainsi que les analyses des marchés et la veille concurrentielle.
Afin de valoriser les grands secteurs de l’activité touristique, le GIE a regroupé les produits à forte valeur ajoutée ou les segments porteurs en termes de recettes ; d’image et d’avenir en 8 clubs de produits thématiques permettant une promotion ciblée et une démarche participative de ses 1 250 membres professionnels. Pour les marchés, l’approche a été recentrée sur 2 critères : une première stratégie marketing « Europe » et une seconde « marchés lointains matures et émergents ». Au travers de ces deux axes, l’objectif affiché est d’augmenter les recettes touristiques d’ici 10 ans pour atteindre 40 milliards d’euros.
Pour cela, outre les 80 personnes au siège à Paris, 200 autres personnes sont chargées de mettre en œuvre cette stratégie marketing dans les 33 bureaux implantés dans 28 pays sur les 5 continents. Ce réseau est la cheville ouvrière du travail de veille portant sur l’acquisition des données sociologique, démographique, économique et politique qui permet d’anticiper les tendances des marchés émetteurs vers la France. Ces informations sont formalisées sous forme d’études de marché misent en ligne sur le site www.franceguide.com et de newsletters diffusées aux adhérents du GIE. Le département « études et veille » représente un budget de 1,6 millions d’euros sur les 67 millions du budget total attribué par l’Etat à Maison de la France.
Cette connaissance des marchés et l’évaluation de la concurrence se trouve encore renforcée par la présence active de Maison de la France au sein du Conseil Européen du Tourisme (CET).
5. L’activité d’un grand groupé privé : Accor
Le groupe Accor est né en 1967 avec l’ouverture du premier Novotel à Lesquin (Nord). Il est aujourd’hui le 3ème acteur mondial dans le secteur hôtelier. Une autre branche d’activités concerne les services aux entreprises (tickets restaurants). Ce secteur permet d’absorber la cyclicité du marché de l’hôtellerie d’un point de vue financier.
En raison du petit nombre de concurrents de taille similaire, la veille sur son cœur d’activité reste centrée sur des enjeux faciles à identifier. Par contre, la concurrence locale très forte est plus difficile à cerner (75 % des hôtels en Europe sont indépendants) et très réactive en termes d’adaptation et d’intégration d’innovations (non protégées juridiquement car il n’y a pas de brevets en la matière). Pour cette raison, les études stratégiques confiées à de toutes petites équipes (1 à 2 personnes) doivent revêtir un caractère opérationnel sur les marchés locaux afin d’aboutir à des résultats concrets rapides. Cette veille n’est pas centralisée dans le groupe mais elle est plutôt une culture d’entreprise facilitée par le déploiement d’un intranet reliant toutes les entités du groupe.
L’application de cette veille est faite vers les partenaires en raison de nombreux montages financiers, participations croisées, etc. et elle est intégrée dans les études de coûts du processus de construction des hôtels, dans un souci d’accroissement des marges.
L’autre aspect de la veille concerne la gestion des risques : impact sur les coûts et les assurances, maîtrise du couple pays/produit pour le développement de nouvelles implantations.
Un Comité des Risques qui analyse l’information remontée a été mise en place sous la direction du président du groupe. Il est mobilisable à tous moments.
Bien entendu, les organismes producteurs d’informations tels que les DREE , ambassades et consulats et Maison de la France sont mis à contribution.
6. Éléments du débat : Intelligence économique et industrie touristique
– Existence d’attaques informationnelles sur la destination France (exemple de la Chine qui avait refusé l’accréditation pour la France afin de provoquer des négociations).
– La MDF est en relation avec les régions. Il existe une concurrence entre les régions. La MDF a vocation de transmettre l’information. En aucun cas, elle n’a vocation à intervenir sur les produits ou les politiques régionales.
– Le groupe ACCOR a tout intérêt à diffuser l’information touristique auprès des indépendants car c’est un des leviers du développement du tourisme national.
– Le groupe ACCOR est organisé en cas de crise : procédures d’urgences qui permettent de mobiliser le personnel dédié.
Conclusion sur l’Intelligence économique et industrie touristique
Bien qu’il soit méconnu, souvent 1ère victime de crises régulières et en mutation profonde, le tourisme présente le double intérêt d’être un puissant levier de développement économique, toujours en expansion, et surtout de par sa caractéristique composite, un thème d’innovation constant. Ces aspects en font un champ d’application privilégié pour la mise en œuvre de politiques d’intelligence stratégique tant de la part des institutions que des acteurs privés avec le souci commun qu’elles soient tournées vers l’action, et l’évaluation des résultats et de la valeur ajoutée ainsi acquise.
Sur le sujet de l’Intelligence économique et industrie touristique
- Du « tour » au « tourisme«
- Qu’est ce que l’intelligence culturelle ?
- Intelligence économique et tourisme, une industrie en guerre.
- Rugby et intelligence touristique.
- L’attractivité touristique de la France.
Compte rendu rédigé par Jean-Paul Dardé et Jérôme Bondu