Compte rendu informel du colloque de l’EGE, le 8 avril 2024, sur le thème « Intelligence économique dans un monde toujours plus conflictuel ». Troisième table ronde : les nouveaux territoires de l’intelligence économique.
Ce compte rendu est en quatre parties :
- Pionniers de l’intelligence économique en France.
- Réussites de l’intelligence économique.
- Nouveaux territoires de l’intelligence économique.
- Dimension nationale de l’intelligence économique.
Ces notes sont évidemment parcellaires, subjectives, et non officielles. Bref elles n’engagent que moi.
L’émergence de nouveaux territoires de l’intelligence économique
Cette table ronde était animée par Fabrice Frossard avec Aymeric Bonnemaison, Nicolas de Rycke, Camille Lanet et Christophe Deschamps.
Sécurité informatique
Aymeric Bonnemaison a axé sa présentation sur la sécurité informatique, premier des nouveaux territoires de l’intelligence économique. Il a rappelé qu’il y a trois couches numériques : Infrastructure, logicielle et informationnelle. Puis, il a présenté les trois volets de lutte informatique : défensive (LID), offensive (LIO). Et la lutte informatique d’influence (L2I).
« Nous sommes montés en gamme depuis Daesh, et nous sommes assez en pointe dans le monde ». Ce travail de veille et d’analyse est fait uniquement à l’extérieur de la France (en interne c’est le rôle de Viginum).
Le panorama des modes d’action des attaques est vaste : depuis les attaques sur les brevets, contrats ou partenariats. En passant par les attaques en réputation. Les attaques DDOS. Ou la neutralisation pure des outils, par exemple les attaques sur des systèmes SCADA.
Chez les Russes les réseaux informatiques et l’influence sont nativement liés.
Influence
Deuxième des nouveaux territoires de l’intelligence économique : l’influence.
Selon Camille Lanet l’influence est une école d’humilité pour trois raisons :
- On ne peut pas s’attribuer les mérites d’une bataille gagnée.
- On est toujours sur des actions d’ensemble.
- On attend des résultats à long, voire très long terme.
Il y a donc une obligation de moyens plus que de résultats. Une opération consiste d’abord à écrire une doctrine précise, de manière à s’inscrire dans un schéma global. A ce titre, le président à rappelé l’importance de l’influence pour la France.
Intelligence artificielle
Troisième des nouveaux territoires de l’intelligence économique : l’intelligence artificielle. Christophe Deschamps a rappelé que si l’année 1994 voit la publication du rapport Martre, elle voit aussi la sortie du rapport Théry ! La bascule se fait alors entre une veille technologique et humaine à une veille essentiellement numérique, sur le web. Ce que nous avons gagné en capacité de surveillance numérique, nous l’avons perdu en animation de réseaux humains. Christophe s’est formé à Poitiers avec Nicolas Moinet qui est une spécialiste du réseau humain.
Christophe aimerait que la profession puisse prendre le tournant de l’intelligence artificielle. Il s’interroge : « Est-ce que nous ne sommes pas en train de passer à côté de l’intelligence artificielle ? ». La question mérite d’être posée !
Mais le risque est aussi social et politique. Un rapport récent fait émerger que le risque principal (hors climat et industriel) est le deep fake. Les campagnes d’influence et de manipulation s’industrialisent et sont de plus en plus perfectionnées. Cela va induire une défiance généralisée. Et donc, conclut Christophe, un danger démocratique.
Aymeric Bonnemaison soulève à ce propos, que pour un bon développement de l’IA, il faut réunir plusieurs critères : La volonté politique. La capacité d’anticipation. Une formation de qualité. Une base technologique solide (ce dernier point m’a fait penser à ce que l’on nomme la BITD (base industrielle et technologique de défense).
Osint
Quatrième des nouveaux territoires de l’intelligence économique : l’OSINT. Nicolas de Rycke a rappelé qu’il y a trois composantes de l’OSINT :
- États d’esprit, curiosité et rigueur.
- Connaissance des sources de données.
- Maitrise des outils. Il s’est félicité sur ce point que la France ait une compétence particulière dans le domaine de l’OSINT.
Il a néanmoins soulevé le problème d’une législation en cours de structuration sur l’OSINT. Il a cité l’exemple de l’extension Lusha ! Lusha utilise les données des utilisateurs. Et pourrait être condamnée. Mais le RGPD ne s’applique pas à Lusha pour plusieurs raisons : d’abord parce que l’entreprise n’est pas dans l’Union européenne. Ensuite par ce qu’ils n’utilisent pas ces données pour démarcher… Cela permet donc à une société non européenne d’avoir un marché captif européen qui est interdit aux entreprises européennes !
Prospective
Dans 30 ans :
- Christophe pense que dans 30 ans (et même peut-être avant) nos doubles numériques seront présents parmi nous ! Tout est en place pour cela. Ces doubles numériques seront par exemple nos assistants.
- Nicolas souligne la performance française en IA, Osint et hacking. Et il cite en exemple l’entreprise française qui a piraté récemment une Tesla dans un concours aux États-Unis ou HugginFace.
- Lors d’une question sur le cloud souverain, Aymeric Bonnemaison a souligné qu’il faut se battre pour la souveraineté que l’on peut se payer. Principe de réalisme donc !
La table ronde sur les nouveaux territoires de l’intelligence économique s’est conclue par une nécessaire sensibilisation le plus tôt possible dans les cursus. Et par l’importance de développer l’esprit critique. C’est justement le thème d’une conférence organisée conjointement avec SindUp.
Prolongation de la réflexion sur les nouveaux territoires de l’intelligence économique
On s’interroge depuis longtemps sur les nouveaux territoires de l’intelligence économique. L’IFIE, que j’ai eu le plaisir de diriger, avait édité en 2008 un ouvrage qui y était consacré. C’est la force (ou la faiblesse) d’avoir un domaine transverse, dont les méthodologies et les outils peuvent servir de multiples causes.
Cette table ronde m’a fait imaginer de nouveaux territoires, dans le sens de nouveaux services que l’intelligence économique pourrait apporter. Les points suivants ne sont que des interrogations imaginées quelles qu’en soient les probabilités de survenances.
- Premier constat : l’effritement, la segmentation et la privatisation de l’internet. Dans ce cadre, est-ce que l’intelligence économique dans sa composante « recherche et veille » ne pourrait pas apporter des solutions de maitrise d’espaces numériques en voie de balkanisation ?
- Second constat : nous pouvons imaginer une autonomisation de notre double numérique, qui se mettrait à poster des informations en notre nom. Ou qui, une fois piraté, se mettrait à agir « contre » nous. Est-ce qu’un nouveau service en intelligence économique, dans sa composante « sécurité » pourrait être la sécurisation de notre double numérique ? Ou la capacité à analyser un double numérique d’un contact pour s’assurer de sa probité ? Une sorte de devoir de vigilance (Due diligence) appliquée à nos doubles numériques.
- Dernier constat : on peut imaginer une manipulation massive de l’histoire, avec la modification de pans entiers de notre histoire. Est-ce qu’un service en intelligence économique, dans sa composante « influence » pourrait travailler à cela ?
Cette vision des nouveaux territoires de l’intelligence économique était riche de perspectives.
Suite demain : La dimension nationale de l’intelligence économique.
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Jérôme Bondu