J’ai lu « Ou est le sens ? » de Sébastien Bohler, édité en 2021. Ouvrage qui pourrait être sous-titré « comment retrouver le sens ? » J’avais beaucoup aimé son précédent ouvrage « Le Bug Humain ». Sébastien Bohler est docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho.
Cet article fait parti d’une série qui pose la question du sens. A l’heure de l’intelligence artificielle générative, j’ai voulu creuser le sujet par quelques lectures édifiantes.
- Le bug humain, de Sébastien Bohler (lire aussi le résumé cartographique du livre).
- Ou est le sens, de Sébastien Bohler.
- Human psycho, de Sébastien Bohler.
- Striatum, de Sébastien Bohler.
- L’odyssée du sacré, de Frédéric Lenoir (lire aussi les notes additionnelles).
- La science peut-elle tout expliquer, de John Lennox.
- Sapiens, la bande dessinée.
Retrouver le sens
On lit sur la 4eme de couverture du livre « Où est le sens ? ».
« L’humanité du XXIe siècle vit un cauchemar. Les espèces vivantes s’éteignent, les calottes glaciaires se liquéfient, les eaux montent, la température grimpe. Demain, nous serons exposés à des pénuries, à des migrations climatiques, et devrons lutter contre de nouvelles pandémies.
Sommes-nous à ce point impuissants et résignés à périr ? Certainement pas !
Une ressource insoupçonnée se trouve enfouie dans notre propre cerveau. Un centre nerveux appelé cortex cingulaire nous pousse sans relâche à chercher du sens à nos existences. Cette quête de sens peut nous détourner de la croissance aveugle et délétère pour créer une société fondée sur la cohérence, la signification et le lien. Le cortex cingulaire est en chacun de nous. Depuis longtemps nous l’avions oublié. Aujourd’hui, nous pouvons le réactiver ! »
Démonstration de l’auteur pour retrouver le sens
Rôle du cortex cingulaire antérieur
On retrouve bien le style de Sébastien Bohler. Sa démonstration est basée sur le fonctionnement neurologique du cerveau. Dans le Bug humain il s’appuyait sur le rôle du striatum. Dans « Où est le sen » il s’appuie sur le rôle du cortex cingulaire antérieur.
Un monde qui fait peur
Le cortex cingulaire a pour « rôle » de faire des prédictions. Par exemple : « si je travaille bien, j’aurais de bonnes notes ». Si la prédiction se trouve confirmée, cela procure une satisfaction. Sinon une dissatisfaction. Or, qu’observe-t-on actuellement ? Que pour beaucoup d’entre nous, notre cortex cingulaire est en mode dissatisfaction aiguë. La cause ? Un monde labile et peu fiable. Un monde qui fait peur. Une statistique est parlante : 80% des Français pensent qu’ils risquent de perdre un jour leur emploi ou leur logement ». Un monde que l’on ne comprend plus. Par exemple, il est évident qu’il faudrait gérer la crise climatique. Mais tout le monde semble s’en foutre éperdument. Pire. Comme notre cortex cingulaire n’arrête pas de tirer la sonnette d’alarme, nous compensons : achats compulsifs (malconsommer), bouffe (malbouffer), porno sur internet (malaimer), séries, alcool et drogues (malapprécier) [ces néologismes sont de moi :-)]… Ce qui a pour effet d’accélérer la crise climatique.
Crise climatique
Cette crise climatique met les différents pays du monde dans la position du « dilemme du prisonnier ». Chaque pays devrait prendre les mesures adéquates. Mais chacun attend que les autres pays fassent de même. Ce qui fait que personne n’agit. L’auteur rappelle que le dilemme du prisonnier a été imaginé par le mathématicien américain Albert Tucker en 1950. (NB : Je fais souvent jouer les personnes que je forme à ce « jeu » ! C’est terriblement instructif sur les forces de rétention et de blocages).
Force des rituels pour retrouver le sens
Sébastien Bohler rappelle la force des rituels dans l’apaisement du cortex cingulaire. Et explique que le phénomène est lié aux neurones miroirs qui créent de la sympathie avec ceux qui observent les mêmes rituels. Les neurones miroirs ont été découverts dans les années 1990 par Vittorio Gallese et Giacomo Rizzolatti.
Déficit d’estime de soi
Dans cette situation délétère, il n’est pas étonnant qu’il y ait un déficit d’estime de soi et d’identité personnelle. Déficit que nous compensons dans des identités de groupe et la nostalgie d’un passé rêvé. Et plus le groupe d’élection établit des frontières avec les autres, plus cela nous redonne une identité. Trump et l’extrême droite, sont des champions dans ce genre sport. Ils offrent un « enclos cognitif » dans lequel les personnes en déficit d’estime de soi trouvent repos et protection.
Époque absurde
L’argent est un anxiolytique. Notre époque absurde a « remplacé l’être par l’avoir », a « tué le sens mais pas le besoin de sens ». Le sociologue Émile Durkeim avait déjà détecté cette pathologie. Et avait nommé anomie « le sentiment d’une perte d’ordre et de logique dans la société ». « La dissonance cognitive est le moyen d’endoctrinement le plus puissant que l’on puisse imaginer, car il est invisible, indolore et très discret. On lui donne aussi le nom de rationalisation, pour dire que notre cerveau cherche à trouver des arguments rationnels à ce qu’il n’a pas décidé lui-même ». Trump l’a dit, écoutons-le : « La vérité n’est pas forcément la vérité ». Sébastien Bohler affirme qu’il y aurait 9% de platiste en France (j’avoue que je suis très étonné par cette stat) ! Les théories du complot sont une manière de recréer de l’ordre dans un monde que l’on ne comprend pas. Elles créent un « ordre compensatoire ». La post-vérité est le résultat de la perte de contrôle sur nos vies.
Retrouver le sens avec une religion verte
Comme dans le Bug humain, Sébastien Bohler ne nous laisse pas au pied du mur. Il évoque une solution évidente : retrouver le sens. Et pour cela, adopter une morale environnementale. Parallèlement, il propose de réintégrer une part de sacré dont nous avons besoin, et des réinstaurer des rituels. La cause climatique pourrait offrir tout cela, et être une nouvelle « religion globale », « religion verte », qui saurait nous sortir de l’ornière. Si l’on ne prend pas de décision ferme au niveau mondial pour la cause écologique, pour revoir les fondements viciés de notre civilisation, l’auteur entrevoit deux futurs possibles : Soit une « dictature technologique » à la chinoise. Soit une « dictature écologique ». Deux extrêmes repoussoirs. Il préfère retrouver le sens via une nouvelle religion verte.
Mon avis
C’est un bon livre à lire pour retrouver le sens !
Petit étonnement pour finir : Sébastien Bohler cite des dizaines d’études, mais aucune par des équipes de chercheurs français (à l’exception de Robert-Vincent Joule, co-auteur du Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens). Bizarre …
Où est le sens ? est édité par Pocket.
Jérôme Bondu
