Lors de ma dernière rencontre avec David Fayon nous avons échangé sur notre vision partagée de la révolution numérique et sur le concept de souveraineté numérique. Voici en quelques lignes un partage de nos réflexions.
Révolution numérique
David a exprimé la nécessité d’un ministère de la société numérique qui serait transverse, car la question du numérique adresse tous les ministères (Education, Justice, Intérieur, Economie et Finances, etc.). Le Secrétariat d’Etat actuel n’a pas l’envergure nécessaire et est plus focalisé sur la communication numérique que sur le numérique dans son ensemble.
Je partage tout à fait son analyse sur l’importance de hausser le rayon d’action au plus haut niveau.
Il a évoqué ensuite l’importance de passer d’un mode en silo à un mode collaboratif pour tous les acteurs du numérique : créer plus de porosité entre les mondes de la recherche, de l’enseignement, des entreprises, des start-up et même de la défense, comme c’est le cas aux Etats-Unis et en Israël. Là encore, accord total.
Fracture numérique
Il a abordé ensuite le sujet de la lutte contre la fracture numérique. Selon lui un service citoyen de six mois permettrait – entre autres projets – un échange intergénérationnel, entre urbains et ruraux, entre catégories socio-professionnelles différentes, et permettrait via des formations de réduire la fracture numérique.
Ma préoccupation ne porte pas sur ce sujet. Pour moi, la fracture la plus préoccupante est celle qui se fait entre les géants de la tech (les GAFAM, NATU et BATX) et nous autres, dindons de la farce, européens. Néanmoins, je le rejoins sur l’importance d’une prise de conscience qui se fasse à tous les niveaux de la société.
Droit à l’erreur
Glissant d’un sujet à un autre, il a ensuite insisté sur l’importance de changer l’état d’esprit des Français par rapport à la prise d’initiative et le droit à l’erreur. Nous sommes loin d’être une « start-up nation » à la différence d’Israël. Etre une start-up nation impose des choses dures : accepter de ne pas se verser de salaire pendant deux ans avant éventuellement de lever des fonds, de travailler 60 heures par semaine, avec toutes les difficultés que l’on peut imaginer.
Etant moi-même créateur d’un cabinet de conseil, j’ai ressenti les affres de la création d’entreprise, de la prise de risque personnelle, et du manque de « parachute » en cas d’échec. Le fait qui m’a le plus marqué durant les premiers mois de création est que si j’échouais je n’aurai pas droit aux ASSEDIC. C’est fou ! Le créateur prend des risques insensés pour développer une activité, et en retour, n’a pas la protection minimale d’un salarié. Cette règle idiote m’a empêché de dormir quelque temps…
Se focaliser sur ses forces
Dans une vision stratégique de ce que peut faire la France, David rappelle qu’il faut se focaliser sur ses forces plutôt que de penser à rattraper ses faiblesses, sachant par ailleurs que nous n’avons pas la taille critique des Etats-Unis ou de la Chine. Partant de là, il m’a expliqué ne pas soutenir l’idée d’un système d’exploitation « Made in France », en appuyant sa thèse sur les précédents grands projets avortés comme Quaero (même si Qwant semble percer actuellement) ou Galileo. Et propose plutôt de nous focaliser sur la maîtrise des données personnelles.
Sur ce sujet, j’ai une vision radicalement différente. A mes yeux il faut coûte que coûte que nous puissions acquérir une indépendance sur cette « couche » essentielle du monde informatique. J’ai bien aussi en tête les échecs d’opérations comme le cloud souverain. Mais qu’importe, notre indépendance informationnelle passera pas là, ou ne passera pas ! Et rajouterai même que nous (les Européens) devons recréer une industrie du matériel informatique. Car un matériel n’est jamais inerte, il contient toujours une couche logicielle. Or la maitrise de cette première couche est essentielle dans une optique de souveraineté numérique. Elle peut être vérolée, contenir une porte dérobée (back door) et alimenter en information son constructeur.
Plateformes et APIs ouvertes
David propose aussi de raisonner en termes d’accès à des plateformes et APIs ouvertes, pour que les acteurs français présents et à venir puissent viser dès le départ une dimension internationale et le développement d’un écosystème.
Là-dessus, rien à redire, c’est le sens de l’histoire. On ne prospère dans un réseau que sous forme de réseau. La centralisation est inopérante.
Revenant sur ma focalisation (OK on peut dire aussi sur mon obsession 😉 sur Google, il faut selon lui plus largement viser les GAFAMI (I pour IBM) et les homologues Chinois. Comme moi, il regrette que l’on assiste en tant que spectateur et non plus en tant qu’acteur au match Etats-Unis contre Chine pour la suprématie planétaire qui passe par le numérique.
Je ne peux qu’abonder dans son sens.
Manipulé par les GAFAM
Reprenant le titre de mon dernier livre, il a conclu notre entretien en affirmant qu’il est crucial de « maîtriser Internet plutôt que d’être maîtrisé » et manipulé par les GAFAM qui savent plus de nous que nous-mêmes. La puissance des géants de la tech est telle qu’ils peuvent anticiper notre inconscient et notre subconscient.
La encore, nous sommes en phase, c’est la thèse que je défends dans mon ouvrage.
D’un commun accord, David et moi avons décidé de rendre public cet échange privé, partant du principe que l’intelligence est un phénomène collectif et non individuel.
Nous prévoyons d’autres échanges, pourquoi pas avec plus de monde (y a-t-il des amateurs ?) … Le Club IES pourrait offrir le cadre d’un prochain échange sur la révolution numérique 😉
Amicalement,
Jérôme Bondu
Pour en savoir plus sur les GAFAM et la révolution numérique:
– Quel est le problème avec les GAFAM ? Entretien avec Idriss Aberkane sur la souveraineté numérique.
– Cartographie des ouvrages sur les GAFAM.
– Article d’Usbek & Rica : « Pourquoi il faut se défendre face aux GAFAM ».
– Cartographie des acteurs de la souveraineté numérique.