J’ai beaucoup aimé « Les coureurs d’épices » d’Edith & François-Bernard Huygues, édité par Payot (3ème édition 2021).
Le sujet ne m’était pas totalement inconnu puisque j’avais organisé une conférence au sein du Club IES sur la route des épices avec Brigitte Bourny-Romagné. Et j’avais invité les auteurs sur le sujet connexe de la route de la soie.
C’est un ouvrage d’érudits. Mais au travers de l’histoire des luttes pour les épices, les auteurs présentent de nombreux concepts, comme la guerre économique, la capacité à créer de l’intelligence collective (notamment autour d’Henri le Navigateur), la lutte contre les préjugés mentaux (peur de passer l’équateur). Cela me permet d’avoir une pensée pour François-Bernard Huygues qui nous a quitté.
Coureurs d’épices
Résumé de la quatrième de couverture :
« L’Orient utilisait bien avant nous racines, graines et fruits aux mille vertus, mais c’est en Occident que le désir d’épices a servi de prétexte à l’exploration du monde. Cette quête d’horizons lointains se joua comme une course de relais dont Rome, Byzance, Alexandrie et Venise se passèrent le témoin, jusqu’à ce que les Portugais inventent la route africaine et remportent la mise, que les Hollandais leur ravirent à leur tour.
Les auteurs de La Route de la soie nous embarquent, aux côtés de Cosmas, aventurier et cosmographe, de Marco Polo, d’Henri le Navigateur, ou encore d’Eustache Delafosse, contrebandier flamand, pour revivre cette course aux épices qui décida du sort des plus grandes puissances européennes. »
Voici des passages choisis qui illustrent quelques temps forts.
Collecte d’information
Parlant du développement des sciences du monde musulman, les auteurs rappellent l’incitation du coran à explorer et décrire le monde. Venise a organisé un système de captation d’informations. Ils mentionnent les « bouches du lion » sortent de « boites aux lettres », dans lesquelles le délateur pouvait poster une lettre de dénonciation. Ces lettres atterrissaient au palais des Doges pour être analysées et exploitées.
Grandes découvertes
Deux interrogations m’ont semblé particulièrement intéressantes : pourquoi la Chine a raté les grandes découvertes ? Pourquoi l’empire musulman est aussi passé à côté de ces découvertes ? La réponse pour la Chine tient dans la politique impériale : car les sept expéditions de Cheng Huo (entre 1405 et 1433) étaient de véritables missions d’explorations, portées par la volonté de l’empereur Yong-Lo de la dynastie Ming. Au retour de la dernière expédition de Cheng Hou, l’empereur a changé, et la Chine se referme totalement sur elle-même. La réponse pour l’empire musulman tient dans leur monopole économique : leur maitrise des routes terrestres et en partie maritimes entre la mer Rouge et les Indes ne le prédisposait en rien à chercher de nouvelles routes.
Les motifs qui ont mené aux grandes découvertes évoluent naturellement avec le temps : « Insensiblement, on est passé de la croisade et de la recherche de l’or, au grand projet des épices, du grignotage de la côte africaine inconnue, mille par mille, à la conquête planifiée des Indes. »
Révolution de l’imprimerie
Les auteurs soulignent aussi qu’au début de l’impression, ce sont surtout les textes anciens qui profitent de cette nouvelle technologie. Ce ne sont pas les découvertes scientifiques. Il faudra un certain temps avant que cette révolution technologique profite au développement des nouveaux savoirs : « Dans le domaine de la géographie, cette contradiction qui oppose l’imprimé outil de la critique et l’imprimé propagateur de mythologie se révèle de façon cruciale à propos de Ptolémée ». Les écrits de l’auteur grec vont en effet dans un premier temps gagner en visibilité malgré ses erreurs.
Conquête sur plusieurs générations
Henri le Navigateur est naturellement mis en avant dans le livre, même si les auteurs soulignent que les réussites portugaises sont le résultat de plusieurs générations : « La conquête de la route des épices constitue le patrimoine de plusieurs générations ; c’est une œuvre collective et raisonnée d’accumulation qui dépasse la gloire ou les hasards d’une aventure individuelle ». Christophe Colomb à son retour des Amériques veut persuader qu’il a découvert les Indes et diffuse ses mensonges et « projections mentales ».
Un ouvrage très intéressant sur les coureurs d’épices.
Jerome Bondu
Vous pourrez aussi consulter la formation sur l’influence et les interventions de François-Bernard sur l’influence :
- Conférence: La désinformation – arme stratégique. Par F-B Huyghes.
- Interview vidéo de François-Bernard Huyghes sur l’influence.
J’ai aussi publié récemment une note de lecture sur la chute de l’empire romain et la dimension climatique.