Suite à la note précédente, présentant une partie de l’assemblée générale du Synfie, voici un complément avec la présentation du SISSE – Service d’information stratégique et de la sécurité économique.
Jean-Sébastien Guillaume a eu la gentillesse de me donner ses notes pour compléter mon compte rendu informel de la dernière réunion du Synfie. J’avais raté la présentation de Mathieu Kahn (en replacement de Joffrey Célestin-Urbain, Chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique SISSE). Mathieu Kahn est directeur adjoint du SISSE. Merci donc à Jean-Sébastien de partager ces notes. J’ai fait quelques modifications de style, en espérant ne pas avoir trahi la pensée de l’orateur … Je rappelle que le texte ci-dessous est un résumé informel qui n’engage que son auteur.
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Les activités du SISSE ont été présentées par Mathieu Kahn. Il est revenu sur les trois dernières années d’activités du SISSE, et a insisté sur la volonté d’associer les acteurs privés et parapublics (notamment en régions) aux travaux du SISSE.
Missions du SISSE et parades aux menaces
Il a d’abord rappelé les missions du SISSE : identifier, protéger et promouvoir les actifs stratégiques pour l’économie nationale.
Puis il a souligné que les menaces ont cru fortement depuis plusieurs années et surtout depuis la période de COVID et la guerre Ukraine. Plus de 700 alertes sur des entreprises ou des technologies stratégiques ont été détectées et traitées en 2020 et 2021, en croissance de plus de 30% d’une année sur l’autre.
Elles se répartissent comme suit :
– 45 % risques liés à la protection d’informations stratégiques et au patrimoine informationnel.
– 40 % risques capitalistiques.
– 15 % risques cyber.
Outre la recherche de parades immédiates, l’ensemble de ces menaces sont analysées pour anticiper les tendances de fond de la compétition économique mondiale, ce que le SISSE appelle « l’intelligence économique opérationnelle ».
La France a musclé son dispositif de contrôle avec la loi PACTE, puis avec des adaptations au contexte de la crise sanitaire.
Contrôles des acquisitions de sociétés sensibles
Dans un rapport paru le 16 mars 2022, la DG Trésor explique que le nombre de contrôles des acquisitions de sociétés sensibles a bondi de plus de 31 % en 2021, notamment dans les biotechnologies. Quelques chiffres :
– En 2021, il y a eu 328 dossiers déposés, soit 31,2 % d’augmentation par rapport à 2020.
– Sur ces 328 dossiers, 124 ont été jugés entrer dans le champ d’application du décret IEF (soit 124 opérations autorisées).
– L’origine des investisseurs est à 41,2 % en UE/EEE et 58,8 % hors UE/EEE. Les pays les plus représentés hors UE sont : USA, Chine, Israël, Qatar, Émirats, Taïwan, Canada, Russie, Singapour, Malaisie, Inde.
– Pour 67 dossiers l’autorisation s’est faite sous condition.
Il y a eu environ 300 signalements en lien avec la sécurité économique. Plus de 60 cas de menaces. Il y a eu aussi des solutions de remédiation avec le politique, et mise en place de dispositif de surveillance en intelligence économique.
Résurgence des rapports de force économiques
On observe un retour de la géopolitique et une résurgence des rapports de force économiques, entre grandes zones économiques, pour la défense de leurs intérêts stratégiques :
– Pivot vers l’axe Asie-Pacifique depuis Obama.
– Compétition économique Chine/US. Taïwan risque d’être un point de friction important dans les années à venir, voire à l’origine d’un conflit militaire régional. Cela représente un vrai grippage du multilatéralisme et de la mondialisation.
– Nous rentrons à nouveau dans une logique de blocs et d’alliances/partenaires.
L’orateur pose la question de la place de la France dans ce contexte. Il souligne que l’Union européenne ne souhaite pas s’aligner entièrement sur les USA et ne voit pas forcément la Chine comme un ennemi. Poutine s’en sert et souhaite jouer sur le gaz afin de rompre l’équilibre atlantique. L’intervenant prédit une crise d’identité européenne, voire occidentale.
Accès aux technologies clefs
L’accélération du rythme de l’innovation technologique amplifie la concurrence internationale pour l’accès aux technologies clefs. La transition numérique permet l’apparition d’acteurs dont le caractère systémique peut générer des externalités économiquement négatives. Des entreprises stratégiques françaises existent, parmi lesquelles de grands groupes, mais aussi des PME ou des ETI, et des startups pépites qui méritent d’être protégées pour leurs technologies potentiellement souveraines. Les avantages comparatifs de notre économie se trouvent aussi dans nos organismes de recherche (même si les chercheurs partent…). Il faudrait assurer le traitement systématique de tous les signaux d’alerte générés par des menaces étrangères afin de conserver la main sur notre souveraineté à travers l’écosystème technologique français. (Mire ma note de lecture Compétition mondiale et intelligence économique)
Conflits juridiques
Mathieu Kahn a abordé aussi le développement des conflits juridiques et de l’extraterritorialité. Une des stratégies consiste pour l’attaquant à mettre en place un contentieux factice, dont l’objectif est d’affaiblir les sociétés cibles, via des pertes d’informations stratégiques. Il a symbolisé son propos en expliquant que des mini affaires Alstom sont sans doute à prévoir ! (Lire ma note de lecture du Piège américain) Les attaques proviennent des États, mais aussi des acteurs économiques ou des fonds d’investissement, ainsi que des GAFAM… (Lire ma note de lecture du Droit comme arme de guerre économique)
Protectionnisme
Il a souligné la nécessité d’employer la loi de blocage, ainsi que le nouveau décret, l’arrêté de février et mars 2022, voir l’arrêté du 7 mars 2022 relatif à la communication de documents et de renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères. Il s’est voulu rassurant : des rachats d’entreprises sont aujourd’hui bloqués ou encadrés par l’administration, afin d’assurer la propriété intellectuelle française et la vigilance est accrue sur les partenariats de recherche et la protection des données sensibles par le biais de la loi de blocage.
(Lire ma note de lecture Histoire mondiale du protectionnisme)
La sécurité économique reste l’affaire de tous
Malgré une proposition de loi sur l’intelligence économique et des mesures mises en place par le gouvernement, la sécurité économique reste l’affaire de tous : chaque acteur économique français est un maillon de la sécurité et de la souveraineté nationale, par le biais d’une responsabilité propre accrue. L’État doit toutefois rester le garant de la souveraineté économique française en mettant à disposition de ces acteurs les outils adéquats pour défendre leurs intérêts qui nourrissent la souveraineté nationale et faire vivre les liens entre les structures et les acteurs privés (Voire la conférence d’Alain Juillet moi-même sur la souveraineté économique).
Effort important sur innovation et investissement
Il a souligné l’importance de faire émerger des compétiteurs dans les secteurs stratégiques : « Est stratégique ce qui assure la sécurité ou la continuité de la vie de la Nation en cas de crise brutale. Certains secteurs sont regardés comme stratégiques, car la sécurisation de l’accès aux biens et services qui en relèvent sont essentiels à la Nation. L’approvisionnement en certains biens et services, le fonctionnement de certains secteurs ne peuvent être interrompus sans entraîner des conséquences graves sur la sécurité et la continuité de la vie de la Nation. Il s’agit là de produits ou services d’importance vitale. Il en va ainsi d’activités relevant de :
– La défense nationale, notamment en lien avec la dissuasion nucléaire.
– Les activités de cybersécurité, l’industrie aéronautique ou encore l’industrie spatiale.
– L’eau.
– L’énergie.
– Les télécommunications.
– Le secteur agroalimentaire.
– Les produits pharmaceutiques et les dispositifs de santé.
– Les intrants fondamentaux sans lesquels ces biens ou services ne peuvent être fournis : composants électroniques, certains produits ou biens relevant de la chimie ou de la métallurgie…
– Les industries et services concourant à la transition énergétique (hydrogène, décarbonation de l’industrie) ou à la souveraineté numérique (technologies du quantique, infrastructures de stockage et de traitement des données). [Pour une présentation vulgarisée de la révolution quantique, n’hésitez pas à vous inscrire à la prochaine conférence du Club IES]
– Peut également être pris en considération le poids d’une activité dans l’économie nationale et/ou régionale : l’aéronautique civile en France ou l’agro-industrie en Bretagne.
Il convient d’accompagner ces structures, avec des missions d’intelligence économique et de sécurité économique, notamment les start-ups et ETI. Une importance particulière est donnée à l’innovation, aux brevets et aux emplois.
L’Union européenne travaille dans le même sens
– Avec des contrôles accrus, et des filtrages systémiques des investissements étrangers stratégiques (voir les notions de boussole stratégique et de PFUE).
– Avec la notion d’Autonomie stratégique européenne, expression préférée à « souveraineté européenne ». Mais comment défendre cette autonomie dans le contexte de guerre économique que nous connaissons actuellement.
L’État, le SISSE et l’intelligence économique
L’État français a structuré l’intelligence économique, après un temps de traversée du désert qui a duré 15 ans, et va continuer à le faire.
– Le SISSE et les entreprises privées doivent travailler de concert !
– Les PME ETI des dix secteurs stratégiques (voir liste sur le site de Bercy) sont à surveiller à chaque instant.
– Il y a un besoin réel de régionaliser les structures et dynamiser les liens entre délégations SISSE et privés et parapublics
Notes de Jean-Sébastien Guillaume. Relues et modifiés par Jérôme Bondu
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Lire mes notes sur la réunion du Synfie.
J’encourage encore une fois à adhérer au Synfie. C’est le lieu idéal pour promouvoir Intelligence économique.
