Votre cerveau vous joue des tours
J’ai lu et beaucoup apprécié le livre « Votre cerveau vous joue des tours » de Albert Moukheiber. Albert Moukheiber est un docteur en neurosciences et psychologue clinicien et professeurs des universités, Français d’origine libanaise. Il a enregistré pas mal d’émissions pour Radio France.
Alber Moukheiber présente les biais cognitifs qui nous jouent des tours. Bien évidemment, il rappelle à quel point ces raccourcis mentaux sont essentiels à notre vie quotidienne : on ne peut pas être sans cesse en mode raisonnement lent et approfondi. Mais il souligne qu’à l’heure des médias sociaux et de la propagation des infox, il convient de connaitre ces biais et d’avoir une boite à outils personnelle pour pouvoir y faire face.
Comment perçoit-on le monde ?
Voyons-nous vraiment le monde avez nos yeux ?
Dans cette première partie, il utilise la belle formule « Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes » pour rappeler que notre vision du monde est subjective. D’ailleurs, notre cerveau remplit régulièrement les vides (absence d’information) et est en construction et reconstruction constante. Nous réinventons notre passé, en fonction du présent.
Albert évoque bien sûr les travaux de Kahneman et Tversky avec le système 1 (rapide, intuitif) et le système 2 (lent et raisonné). Mais il le critique aussi, car rien ne prouve que notre cerveau soit réellement binaire. Notre cerveau agirait plutôt dans le cadre d’un continuum.
L’auteur conclut cette première partie sur le fait que les biais cognitifs nuisent à notre pensée rationnelle. Et ils sont près de 190 biais à jouer des tours à notre cerveau : biais de confirmation, biais de croyance, biais de négativité, biais d’autocomplaisance, biais d’illusion de la connaissance, biais d’impuissance acquise …
Mon cerveau, les autres cerveaux et le monde
Le stress, notre meilleur ennemi
Albert Moukheiber rappelle que dans la nature, un animal qui perçoit un danger a une alternative : il se bat ou se barre (traduction de l’expression fight and flight). « Le stress est donc une fonction primordiale chez tous les vertébrés, car elle privilégie la survie ». Mais aujourd’hui ce stress peut nous empêcher de passer notre examen ou notre entretien d’embauche ! Cette fonction vitale se retourne donc contre nous. Il nous faut nous adapter… Cette nécessité de l’adaptation est présente tous pratiquement tous les livres que je lis sur les phénomènes cognitifs. Deux exemples notables : Le bug humain de Sébastien Bohler et l’Apocalypse cognitif de Gérald Bronner.
L’illusion de nos certitudes
Nous croyons avoir une pensée rationnelle, alors qu’elle est motivée par notre culture, notre vécu, nos croyances. Là encore la numérisation et les médias sociaux ont eu un effet négatif en amplifiant les impacts négatifs de ce trait : bienvenu dans le monde des infox et des « bulles de l’entre-soi ». Nos biais de confirmation (ne rechercher que ce qui va dans notre sens) et de sélection (ne retenir que ce qui nous convient) vont encore accuser le trait.
La dissonance cognitive
Le phénomène de dissonance cognitive a été mis à jour par Festinger. J’en ai parlé lors de ma conférence à l’A3F (billet à venir) dans le cadre de notre utilisation de Google. Nous savons que Google un monopole dangereux, mais nous continuons à l’utiliser. Il n’y a pas d’alignement entre notre perception et nos actes. On découvre au fil des pages de nombreuses explications de biais :
– Effet Franklin : proposer un prix trop élevé à un client pour ancrer sa réflexion sur la fourchette supérieure du prix).
– Effet Barnum : lorsque qu’il y a une présentation de trait de personnalité, quels qu’ils soient, nous avons l’impression qu’ils nous correspondent …
Illusion de contrôle
Impuissance acquise
L’auteur traite de l’impuissance acquise, et de l’illusion de contrôle.
L’illusion de la connaissance commence par une description de l’effet Duning Kruger ou illusion de connaissance. Il y a une surconfiance chez les moins compétents et syndrome de l’imposteur chez les plus compétents. Ce problème se trouve couplé dans les organisations avec le principe de Peters qui veut qu’une personne gravisse les échelons hiérarchiques jusqu’à atteindre son niveau d’incompétence… et y rester.
Importance du contexte
Albert Moukheiber insiste sur l’importance du contexte. L’auteur explique le biais fondamental d’attribution : « nous jugeons les autres sur leurs actions, mais nous nous jugeons plus facilement sur nos intentions, car nous y avons accès ». Il explique ensuite le principe du nudge (coup de pouce) conceptualisé par Richard Thaler. L’auteur évoque l’influence du contexte social, et la conformité sociale avec notamment l’expérience de Solomon Asch. Il passe ensuite à la célèbre expérience de soumission à l’autorité de Stanley Milgram. Albert Moukheiber sait rendre simples des concepts parfois compliqués. Par exemple il détaille le mécanisme de manipulation autour du jeu de bonneteau. Il reprend aussi les travaux de Darley et Latané sur la dilution de la responsabilité. Ces deux chercheurs ont étudié les réactions des témoins lors du meurtre de Catherine Genovese en 1964 aux États-Unis. Les témoins d’une injustice réagissent d’autant moins que le nombre de témoins est important.
Le livre « Votre cerveau vous joue des tours » présente des d’éléments essentiels pour comprendre les facteurs humains dans la mise en place d’une dynamique d’intelligence économique dans les organisations. Je reprends ces éléments dans la formation sur les techniques d’analyse.
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Jérôme Bondu