Benoît Sillard est intervenu le 11 avril 2013 au Club IES sur le thème : Sommes-nous maître ou esclave du numérique ? J’ai aussi fait une courte vidéo de l’intervenant. [Inscrivez-vous aux prochaines conférences du Club IES].
Présentation de Benoit Sillard
Benoît Sillard dirige aujourd’hui CCM Benchmark Group, qui édite de nombreux sites Internet en France et à l’étranger (journaldunet.com, commentcamarche.net, linternaute.com, journaldesfemmes.com, copainsdavant.com , …). Avec 50 millions d’utilisateurs dans le monde, son groupe fait partie du top 100 de l’Internet mondial et en est le deuxième acteur français.
Il a été à la tête de Fun Radio pendant huit ans, et délégué interministériel aux usages de l’internet de 2003 à 2007. Homme d’innovations, il est à l’origine de concepts qui ont touché des millions de personnes : émissions de radio (morning shows, Love is Fun … ), spectacles (Dance Machine) ou initiatives politiques (PC à 1€ pour les étudiants, Internet accompagné à domicile). Il a écrit l’ouvrage « Maitre ou Esclave du numérique ».
Maître ou esclave du numérique ?
Comment être artisan de la connaissance ?
Si cette question est intemporelle, l’émergence du web 2.0 lui donne une actualité particulière. Selon M. Sillard, la connaissance est faite d’une part « d’informations » et d’autre part de l’échange de « savoir-faire ». Ces deux éléments font la « connaissance ». Or avec internet, la nouvelle structure d’échange d’informations (le marché cognitif) est en train de changer.
– En effet nous sommes passés d’une situation qui durait depuis quelques siècles, avec des mass-médias qui contrôlaient la circulation des informations, et assuraient surtout une descente vers le grand public. Les journalistes choisissaient les sujets à traiter, et leur ordre de passage (donc d’importance). Les possibilités de remontée d’informations étaient quasi nulles. Les lecteurs n’avaient comme seul outil d’échange que le courrier des lecteurs…
Nouveaux médias
– Ce schéma est bouleversé avec internet. Les nouveaux médias permettent à tout à chacun de produire de l’information (animation de blog, participation à des forums, alimentation de profil dans des réseaux sociaux…). La sélection se fait selon un processus naturel que l’on peut qualifie de darwinien qui fait que seuls les meilleurs articles pourront émerger. Il est clair que ce contrôle à postériori est très déstabilisant pour les médias établis. Ce n’est plus le rédacteur en chef qui décide… c’est le public !
Ce changement des règles du marché cognitif entraine notamment une remise en cause des intermédiaires et une massification (densification) des informations. En d’autres termes nous subissons tous une surcharge informationnelle, ou pour employer un néologisme une « infobésité ».
Comment pallier au problème d’infobésité ?
M. Sillard va répondre à cette question non pas dans un sens général, mais dans le cadre d’une recherche d’information sur un forum type « Comment ça marche ? »
Dans ce type de forum, les algorithmes vont permettre de repérer les passages importants (question et réponse pertinente) et vont les mettre en avant. Il y aura donc un écrasement des informations les moins pertinentes.
Sur la question de l’analphaNétisme, M. Sillard a souligné le changement de paradigme fondamental que nous vivons tous :
– Pendant des siècles l’important était d’aller chercher les informations.
– Aujourd’hui l’important est de savoir se protéger du trop-plein d’informations, et de savoir filtrer. Il y a donc un apprentissage d’internet à faire !
Pour favoriser l’acquisition des bons réflexes dès le plus jeune âge, il a participé au lancement des certificats d’utilisation d’internet.
Quel impact cela va-t-il avoir sur le travail en entreprise ?
Là encore M. Sillard fait une digression historique pour bien mesurer la force du changement que nous sommes en train de vivre :
– Pour présenter les choses de manière tranchée (et donc forcément un peu caricaturale) on peut dire qu’avant les collaborateurs en entreprise étaient dans un travail solitaire. Dans ce cadre, plus la personne était dépositaire de savoirs (on parle de « sachant »), plus cela augurait favorablement de son autonomie et du bon travail qu’elle pouvait produire.
– Aujourd’hui, c’est le travail en équipe plutôt que l’autonomie qui est valorisé. On veut des équipes pluridisciplinaires, qui peuvent aborder les problèmes sous des angles complémentaires. A charge de chacun de chercher les bonnes informations et de filtrer les renseignements utiles. La confiance va être le liant du groupe.
Organisation tayloriste
Ceci dit, le changement n’est pas brutal mais progressif. L’organisation tayloriste est toujours présente, mais cède doucement le pas devant l’organisation à la Google. Témoin de ce passage à l’innovation ouverte, M. Sillard a cité Procter & Gamble qui est passé d’une recherche menée par des chercheurs « maison », à une recherche ouverte menée avec les chercheurs du monde entier (un peu sur le modèle des AppStore où un produit est enrichi par des développeurs externes). Il a aussi évoqué le cas de l’entreprise Lego qui a impliqué avec succès ses clients dans la co-création de ses nouveaux produits.
Dernier point évoqué brièvement, la reconnaissance par les diplômes disparait au profit de la reconnaissance par la compétence.
La propriété intellectuelle survivra-t-elle au XXIème siècle ?
Pour M. Sillard le droit d’auteur actuel est inapproprié.
– Il évoque le cas de l’artiste américain Richard Prince qui a fait une œuvre d’art à partir d’une photo prise par un autre artiste. Le tribunal de NY a décidé la destruction de l’œuvre de Prince sous « prétexte » qu’elle ne respectait pas le droit d’auteur. Mais, s’indigne M. Sillard, la création ne se fait jamais totalement ex-nihilo, elle se base toujours sur des œuvres antérieures. Le droit d’auteur est en réalité devenu à un outil au service de la rémunération de l’artiste, et maintenant de ses ayants droits (avec la prolongation des droits 70 ans après la mort du créateur).
– Ces restrictions légales sont contre-productives au niveau de l’expression artistique et relèvent d’une logique financière. L’objectif étant d’instaurer des situations de rente. Nous avons un droit inadapté qu’il faut réformer.
Maître ou esclave du numérique
Une solution réside dans crowdfunding, type mymajorcompany, … Ce type de d’aide à la création a été marginal, mais ne l’est plus depuis qu’une première artiste Amanda Palmer a dépassé 1 million de dollars « offerts » par plus de 35 000 donateurs. On voit actuellement l’émergence de ce système.
En conclusion M.Sillard repose la question de la maîtrise du numérique : Sans trancher véritablement cette question difficile, il rappelle que nous subissons ce nouveau monde, et qu’il faut développer de nouvelles compétences, une capacité d’analyse critique, et une compréhension des nouvelles règles héritées d’internet. Cette conférence « maître ou esclave du numérique » était passionnante.
Jérôme Bondu
Lien pour la vidéo de Benoit Sillard.
Sur le même sujet :
- Interview de Benoit Sillard au Club IES.
- A lire : Maîtres ou esclaves du numérique, de Benoit Sillard.