Les animaux ont-ils une âme ? Les professionnels de l’intelligence économique seront surement surpris par la teneur de cet article. Rien à voir avec la veille stratégique, ni de près, ni de loin. Il apporte une petite réflexion sur la place des animaux dans notre monde … Et cela rentre dans une réflexion plus large sur les différentes formes d’intelligence. Cet intérêt pour les animaux m’a poussé à écrire Le Petit bestiaire de la gestion des informations.
Les animaux ont-ils une âme ?
Introduction
Descartes pensait il y a seulement trois siècles et demi que les animaux étaient des machines. Et lorsque l’on regarde autour de nous, il semble bien que ce soit toujours la conviction implicite ou explicite de nombre de nos contemporains. Mais justement, comment se fait-il que l’on traite encore aujourd’hui les animaux comme des machines ou des « légumes » bons à être poussés sans ménagement vers l’abattoir ? En fait, cela nous arrange bien, car s’il fallait reconnaître que les animaux ont une conscience, c’est notre « Système » dans son ensemble qui basculerait. Explications.
Ou en est-on de la recherche sur la conscience des animaux ?
Un article du supplément du Monde (en date du samedi 11 août) pose la question de savoir si les animaux ont une conscience. On peut notamment y lire des choses étonnantes sur les positions de grands savants :
– Darwin a écrit « il suffit de voir des chiots en train de jouer pour ne pas douter qu’ils possèdent leur libre arbitre ». Il décrit en détail les origines animales des comportements affectifs et même des croyances des humains. Selon lui « la différence d’intelligence entre homme et animaux … est une différence de degré et non de nature ». Il démontre qu’il existe une continuité physiologique, intellectuelle et émotionnelle, et même morale entre les animaux et l’homme.
– Selon Freud, Darwin « réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création ».
Capacités beaucoup plus étendues
Il est établi que les animaux ont des capacités beaucoup plus étendues que l’on a pu le penser :
– Ils rêvent.
– Ils apprennent, et sont capables d’adapter la pédagogie en fonction de la capacité d’apprentissage de leurs rejetons (observé notamment chez les singes). Il est évidemment reconnu qu’ils ont une mémoire.
– Continuons : Ils ont une représentation de soi et des autres. Par exemple, ils savent imiter, donc ils font la différence entre l’autre et soi (Dauphins). Ils savent aussi mimer différentes facettes de la vie dans l’acte de jeu, l’attaque, la fuite,…
– Certains sont capables d’apprendre le langage des sourds-muets (chimpanzés, gorilles)
– Ils savent raisonner, savent trouver des solutions face à des situations nouvelles (castor). Beaucoup savent construire des outils en fonction d’utilisations différentes. Ils savent ruser et tromper (corbeaux).
– Enfin, ils savent diriger leur attention, pratiquer l’introspection (singes), communiquer un désir (chiens).
S’il est difficile d’établir que les animaux ont une conscience, c’est sans doute uniquement parce que nous n’avons pas le même langage.
Que dire aux sceptiques ?
Les raisons ?
Premièrement, il me semble que la recherche de la « Raison » a toujours été inféodée à des contingences « matérielles » (religieuses, politiques, sociales, économiques) Des exemples ?
– Qu’importait les preuves que pouvait fournir Galilée, il était impensable que l’Église se déjuge et que la terre ne soit pas le centre du monde.
– La violence des réactions de l’église vis-à-vis de Giordano Bruno et de Galilée pourrait signifier que l’église savait parfaitement à quoi s’en tenir sur la réalité astronomique. Mais elle a reculé devant la remise en cause des textes sacrés et de leur exégèse que la reconnaissance de cette vérité aurait impliquée. De fait, quand on examine, dans les siècles suivants, la corrélation entre progrès de la science et recul de la foi, on comprend pourquoi la « foi » chrétienne de cette époque a suscité autant de « mauvaise foi » scientifique…
– Faut-il aussi rappeler la controverse de Valladolid en 1550, durant laquelle on s’est interrogé si les amérindiens et les noirs avaient une âme ? Reconnaître que les amérindiens avaient une âme privait les grandes puissances commerciales d’une réserve de main d’oeuvre esclave. Les noirs n’ont pas eu cette chance, puisque déclarés dénués d’âme, il n’y avait aucune raison de les traiter autrement que des bêtes ou des machines. Peut être que dans 400 ans, nos lointains descendants seront honteux à l’idée que nous puissions penser les animaux dénués d’une âme.
Il n’est donc pas interdit de se demander si la position suivant laquelle les animaux n’ont pas de conscience définie obéit à une simple recherche de la vérité, ou si elle est polluée par des considérations matérielles.
Les preuves
Deuxièmement, s’il est difficile de prouver que les animaux ont une conscience, rien ne permet d’affirmer l’absence de conscience chez l’animal. De plus, rien n’autorise à affirmer qu’un seul modèle de conscience existe, celui de l’Homme. Rechercher une image de notre propre conscience chez autrui est un bel exemple d’anthropocentrisme. Juger les autres à l’aune de ses propres forces est confortable. Imaginons que chaque animal puisse édicter un critère de comparaison entre animaux : le lion choisira la force, le guépard la vitesse, le lapin la capacité de reproduction, la puce la résistance à la pression, les chats la capacité de voir dans le noir, les chauves souris la capacité à recevoir des ondes, les pigeons à se guider avec les champs magnétiques? Que sais-je ? Et nous la conscience, la force de notre abstraction ? En cas de modification climatique importante, on peut douter que notre critère à nous nous permette de vivre bien longtemps.
Le rapport aux animaux
Troisièmement, traiter les animaux avec dignité n’est pas une incongruité. L’Homme du XXIème siècle ne serait pas le premier à le faire :
– Les amérindiens respectaient les troupeaux de bisons, et ne tuaient que le nécessaire pour se nourrir, se vêtir,…
– La vache en Inde est sacrée depuis des temps immémoriaux.
– Dans de nombreuses traditions, celle des bushmen par exemple, le guerrier s’excuse auprès de la bête qu’il vient de tuer, et lui explique que c’est pour nourrir sa famille.
– Le bouddhisme enseigne de ne pas maltraiter les animaux car ils sont des réincarnations d’humains.
Il semble que le respect envers les animaux soit proportionnel à leur proximité avec l’homme et aux services qu’ils rendent (en tant qu’être vivants) .
Pourquoi en est-on arrivé là, et que faire pour changer les choses ?
Rappelons d’abord que nous sommes des animaux. Les identités tant comportementales que physiologiques nous dispensent d’insister davantage sur cette évidence. Mais précisément notre insensibilité à leur égard n’est-elle pas aussi une réaction de distanciation, un peu analogue à celle du nouveau riche qui snobe son ancien milieu ? Et une réaction de peur, souvenir ancestral du temps où nous étions davantage proie que prédateur ?
Cas de conscience
Ensuite, reconnaître que les animaux ont une conscience, nous poserait un sérieux « cas de conscience », pour ne pas dire un problème fondamental. Cela nous obligerait à revoir tout notre système de vie :
– Il faudrait commencer par améliorer la filière alimentaire. Il ne s’agit pas nécessairement de devenir végétarien, mais d’élever les animaux dans des conditions décentes, et de les tuer en leur évitant toutes souffrances.
– Il faudrait réduire les dégradations des habitats, comme la suppression des bocages, la déforestation, la pollution des mers, les différentes formes de braconnage ou de pêche prohibée (pêche à l’explosif par exemple), qui ruinent des espaces entiers de vie.
– Cela nous obligerait en un mot à revoir notre place sur la terre, notre coexistence avec ses autres « habitants », et sans doute par voie de conséquence à limiter la population humaine.
– Notons à ce titre que la réglementation stricte qui encadre depuis quelques temps, dans les pays développés, l’expérimentation animale est un pas dans la bonne direction.
Conclusion : Les animaux ont-ils une âme ?
Une révolution aboutit souvent à des excès similaires (mais inverses) que ceux qu’elle a voulu supprimer. Le mieux, pour tenter de limiter cet effet, est de commencer par un changement limité, « tranquille ». Pourquoi ne pas envisager un label qui s’assurerait de la bonne « traitance » des animaux dans la filière alimentaire ?
Y a-t-il un marché pour ceux qui veulent payer plus cher pour avoir l’esprit et la conscience tranquilles ? Pour ceux qui pense que l’on « est » ce que l’on « mange ».
Il faut, de toute manière, rapprocher (au sens étymologique : approcher à nouveau) les Hommes du monde animal. Sans proximité, il y a défiance, méfiance, méconnaissance !
Mais gardons espoir. Il paraît que le propre de l’homme est de savoir s’adapter.
A la question « Les animaux ont-ils une âme ? », à défaut d’avoir de réponses, nous espérons avoir contribué à votre réflexion !
Jérôme Bondu & Alain Bondu
Pour aller plus loin :
Voir les ouvrages de Dominique LESTEL, éthologue et philosophe, auteur notamment de Les animaux sont-ils intelligents ? (Editions Le Pommier, 2006) Il est intervenu à l’Université de tous les savoirs. Conférence audio en ligne
Pour creuser différemment la question « Les animaux ont-ils une âme ? » vous pouvez aussi lire :
- Livre : Petit bestiaire de la gestion des informations
- Vidéo: Animaux & veille – Biomimétisme organisationnel
- Les différentes formes d’intelligence.
- A lire : A la recherche de l’Homme de Pascal Picq.
- A lire : L’intelligence des animaux de Frans de Waal.
- L’article a initialement été posté sur AgoraVox.
Source image : Domestication du bétail en Egypte ancienne.