Avez-vous lu espionnage business ? Suite au billet « Les pistes de tous les tiraillements », Jean-Jacques Cécile a posté un commentaire sur le blog. Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, je lui ai proposé de nous donner sa vision des relations entre entreprises privés et structures publiques dans le domaine de l’intelligence économique. En réponse, il propose à Inter-Ligere un extrait de son ouvrage « Espionnage business ». Le texte date de 2004, d’où certains changements dans les structures décrites, mais il reste d’actualité. Voici ci-dessous un premier billet issu de l’extrait. Lire le second extrait.
Premier extrait « Espionnage business »
Extrait issu du paragraphe 3.7 : Pantouflage à la française
« C’est peu de dire que les sociétés spécialisées sont, en France, « marquées à la culotte » par la Direction de la surveillance du territoire ainsi que par les Renseignements généraux. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que l’État français garde un mauvais souvenir de ces aventuriers ayant des tendances latentes à contester son autorité y compris par la force des baïonnettes : 1962 a laissé des traces indélébiles.
Ensuite parce que les officines susceptibles de fournir des « affreux » prêts à l’emploi entretiennent parfois des rapports délétères avec les extrémistes principalement de droite, rapports dont l’existence fut confirmée par l’enquête parlementaire sur les agissements du Département protection sécurité (DPS) rattaché au Front national. L’audition de Jean-Pierre Pochon, alors directeur des Renseignements généraux à la préfecture de police de Paris, est édifiante à ce sujet. Pour le haut fonctionnaire, « S’agissant du mercenariat, il y a une certaine filiation qui s’inscrit dans une continuité : il va de soit que les relations humaines sont importantes » [7] : voilà un jugement qui vient à point nommé pour expliciter les dérives susceptibles d’être induites par le phénomène du pantouflage.
Qu’en est-il exactement ?
Mais ce n’est pas tout : « Certaines sociétés de sécurité, à la demande de personnalités étrangères ou de sociétés, recrutent des hommes de main pour participer à des missions dans certains Etats considérés comme pays à risques. Pour remplir de telles tâches, on recherche bien évidemment des gens ayant le profil idoine : anciens militaires, anciens parachutistes, anciens légionnaires qui répondent à des critères précis » [8]. Et Jean-Pierre Pochon de citer la société Eric SA composée « d’anciens militaires, en particulier ceux issus du deuxième régiment étranger parachutiste (REP) et du dix-septième régiment de génie parachutiste » [9] et qui « coiffe un réseau de mercenaires actifs dans les milieux d’extrême-droite » [10].
Sécurité et gestion des risques
Spécialisée dans la sécurité et la gestion des risques, la société fut fondée en 1990 par Jean-Louis Chanas, « ancien officier de la DGSE qui fut notamment en poste à Beyrouth dans les années quatre-vingt » [11]. On comprendra que celui-ci soit très critique vis-à-vis du jugement péjoratif porté par Jean-Pierre Pochon. Contacté par l’auteur, il se montre peu amène envers ce dernier et précise : En aucun cas ma société n’a eu à travailler pour les services. Quant aux pseudos-activités mercenaires et autres connexions avec l’extrême-droite, il s’agit de fantasmes du « Réseau Voltaire » repris par les Renseignements généraux. [12]. Jean-Louis Chanas ajoute cependant avoir effectivement séjourné au Liban dans le cadre de missions ponctuelles mais nie formellement y avoir été en poste. Enfin, s’agissant du recrutement, l’ex-membre du service Action indique : Pour organiser la sécurité d’expatriés français et étrangers dans des pays à risques, j’ai eu recours à d’anciens officiers et sous-officiers provenant d’unités d’élite parachutistes (2e REP, 17e RGAP, 11e Choc, commando Hubert, commandos de l’Air). C’est là que j’ai trouvé des gens d’expérience, courageux et intelligents ayant l’habitude des situations difficiles voire extrêmes. Je n’ai pas trouvé la même ressource humaine aux Renseignements généraux. » [13].
Ce « règlement de compte à OK barbouze » a au moins le mérite de mettre en exergue la difficulté de démêler le vrai du faux dans un contexte où la manie du secret côtoie les plus solides inimitiés.
Jean-Jacques Cécile
Extrait de l’ouvrage : Espionnage business. Lire le second extrait.
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Notes espionnage business :
[7] « Audition de : Jean-Pierre Pochon – En qualité de : directeur des renseignements généraux à la préfecture de police de Paris – Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS », Assemblée nationale, 2 mars 1999.[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] « Gestion de risques en Russie », Le Monde du Renseignement n°203, 21 octobre 1992.
[12] E-mail de Jean-Louis Chanas adressé à l’auteur, 8 mars 2004.
[13] Ibid.