Comment notre cerveau s’adapte-t-il au net ?
Cette interrogation est émise par Télérama dans son numéro de fin juillet (n° 3106 / 25 au 31 juillet 2009). Même si Télérama se veut un journal de réflexion, le titre simplificateur « Internet rend-il bête ? » trahi une volonté délibérée de jouer sur le « choc des mots ». Heureusement le soutitre pose bien l’intérêt de l’article « Comment notre cerveau s’adapte-t-il au net ? Certains craignent l’avènement d’une pensée zapping et la mort de la lecture à l’ancienne. Un scénario que d’autres estiment alarmiste. » Comme tous les professionnels de l’intelligence économique, je passe une grande partie de ma journée de travail sur internet. Ce qui fait que je suis assez sensible aux impacts potentiels du web sur la réflexion et aux risques de formatage. Je reprends quelques points qui ont retenu mon attention.
Lecture sans réel approfondissement
L’article commence par le témoignage d’un bloggeur qui utilise une belle image pour signifier sa difficulté récente (liée à l’utilisation d’internet) de se concentrer sur des articles longs : « Auparavant, j’étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski ». Cette métaphore parlera à tout le monde et illustre bien un des travers du web : l’incitation à passer d’un sujet à un autre sans réel approfondissement.
Révolutions informationnelles
Internet induit indéniablement de nouvelles manières de lire, de nouvelles habitudes et de nouvelles attentes. Mais est-ce nouveau ? Le passage de la transmission orale à la transmission écrite il y a près de 4000 ans, puis le développement de l’imprimerie, et plus récemment la généralisation de la radio et de la télévision, … tous ces changements ont eu des impacts forts sur notre manière de penser. Et les interrogations sur les avantages et inconvénients de ces changements ne datent pas d’hier. L’article rappelle que déjà Sénèque « conseille de recopier sur des tablettes des extraits de textes lus, de les classer, de bien les digérer afin de les faire passer « dans notre intelligence, non dans notre mémoire » ».
Modifications dans la manière de lire
Quelles sont les modifications dans la manière de lire apportées par Internet ?
– Le web incite à des lectures courtes. A rebondir au sein même d’un texte avec les multiples liens. A des lectures en diagonale.
– Si l’on utilise un lecteur de flux RSS avec des filtres, on sera amené à faire des lectures organisées en catégories : On va ainsi lire un article avec des idées préconçues, selon la catégorie dans laquelle il se trouve, la catégorie étant déterminée par le filtre, lui-même n’ayant fait que détecter des mots clés.
– On sera habitué à des lectures interrompues, hachées par la réception de mails ou de publicités ciblés.
C’est l’ère de la « distraction perpétuelle » peut-on lire dans l’article.
Cet inventaire des effets pervers du Net ne doit pas pour autant cacher les avantages (immenses) promus par le réseau des réseaux. Mais restons-en sur notre interrogation initiale (quel impact du web sur notre pensée ?), auquel le spécialiste Roland Jouvent contribue à répondre : il est clair que le cerveau est perméable aux habitudes de lectures « Plus que tout autre organe, le cerveau est conçu pour évoluer en fonction de l’expérience ? une fonction appelée la neuroplasticité ».
Évolution de notre cerveau
Comment donc notre cerveau risque-t-il d’évoluer ? Deux pistes :
– D’abord vers la recherche de récompenses : Les auteurs font un parallèle avec la « boite de Skinner » : « Ce dispositif montrait que les plus irrésistibles des récompenses ne sont pas celles qui reviennent invariablement, mais celle qui arrivent au hasard. Les sollicitations par le biais du web ? une information par un e-mail ici, une vidéo sur Youtube là, un twitt ailleurs ? nous permettent donc de cliquer toute la journée à la poursuite des meilleures récompenses ».
– Ensuite vers la recherche de la stimulation constante, et la moindre tolérance à l’ennui.
Internet rend il bête ?
L’article intègre aussi des risques qui sont d’une autre nature. Après avoir rappelé le danger de la connaissance intime de votre personnalité par les grands acteurs du Net (« Google is watching you ») et la formule de Patrick Le Lay « Nous vendons du temps de cerveau disponible » les auteurs craignent qu’internet se transforme en une machine qui vende « du temps de cerveau actif. Sur le Net, ce qui vaut de l’or, ce n’est pas votre disponibilité, mais votre attention ». Et les auteurs de conclure en se demandant quels seront les dégâts sur la jeune génération, celle née avec Internet et n’ayant rien connue d’autre.
Sur le même sujet, on pourra écouter les commentaires audio de Barbara Cassin, philosophe et philologue, et Virginie Clayssen, spécialiste du numérique dans le milieu de l’édition.
A lire : Internet rend-il bête ? De Nicholas Carr. Résumé 1/3.
A lire : Internet rend-il bête ? De Nicholas Carr. Résumé 2/3.
A lire : Internet rend-il bête ? De Nicholas Carr. Résumé 3/3.
Jérôme Bondu