Voici le compte-rendu de la conférence du 24 avril 2008 « Jouer nos vrais atouts dans la mondialisation » animé par Claude Revel. La conférence a été organisée par le Club IES, en partenariat avec l’ACEDS, présidé par Guy Corre. Le compte rendu est rédigé par Jérôme Bondu, Président du Club IES.
Présentation de Mme Claude Revel
Claude Revel s’est spécialisée dans les relations internationales pour l’entreprise, l’anticipation et l’influence professionnelle (Advocacy). Haut fonctionnaire française de 1980 à 1988, elle est en 1989 l’un des pionniers de la veille concurrentielle en France en créant, pour les majors français de la construction, l’OBSIC (Observatoire du marché International de la Construction). Elle le dirige jusqu’en 2003, ainsi que la CICA, Confédération mondiale de la construction, à partir de 2000. En octobre 2003, elle crée son propre cabinet, Iris Action. Claude Revel est ancienne élève de l’ENA (1980), diplômée de l’IEP de Paris et de Droit des affaires. Elle est Conseillère du Commerce extérieur de la France. Elle enseigne et publie articles et ouvrages. Son dernier livre, « Nous et le reste du monde ? Les vrais atouts de la France dans la mondialisation » (éditions Saint-Simon -octobre 2007) a reçu une mention d’honneur du Prix Turgot 2008. Voir ma présentation du livre.
I- La mondialisation
Ce mot est partout. Mais il correspond à une réalité. Comment la caractériser et comment agir dans ce nouveau cadre ?
Les nouvelles règles du jeu
Selon le recul que l’on prend, on peut considérer qu’il y a eu jusqu’à aujourd’hui 9 ou 4 mondialisations. Citons les trois dernières : l’Espagnole du XVIème siècle, la Britannique du XIXème, l’Américaine du XXème. Et enfin l’actuelle. Quels en sont les caractéristiques ?
– Cette « dernière » mondialisation a pratiquement aboli les dernières frontières : nous pouvons nous déplacer partout, communiquer en tout point du monde, commercer sur toute la surface du globe. « Nous sommes dans un monde fini ».
– De ce fait, toutes les problématiques sont d’ordre mondial. Il n’y a plus guère de questions qui restent confinés à l’intérieur des frontières d’un Etat ; qu’il s’agisse de l’économie, la santé, les flux financiers, l’énergie, l’eau, l’environnement, ?
– Ceci est notamment du à la force de l’information qui se joue des contraintes territoriales. L’information a acquis un poids particulier. Elle doit être considérée comme une « énergie, une matière immatérielle ». La capacité de traitement de l’information donne la connaissance, l’anticipation, l’influence. Elle fournit une image des structures (entreprises ou autre), et est donc le reflet de leur valeur.
Ce nouveau cadre ne se choisit pas. Il s’impose au monde, et à la France, avec son cortège de bouleversements. Cela induit une nouvelle forme de gouvernance, sur laquelle on peut agir.
Évolution des modes de gouvernances
La base de gouvernance mondiale, en place depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a été bousculée par l’apparition de nouveaux acteurs et donc de nouveaux mécanismes.
– Les structures en place (ONU, OMC, FMI, Union européenne, ?) se sont ouvertes au secteur privé : associations professionnelles, ONG, ?
– Si certaines institutions régulent directement, d’autres apportent des « doctrines » via des normalisations techniques, qui bien souvent provoquent un formatage éthique. Et à chaque étape du processus les acteurs privés peuvent s’impliquer pour influencer les résultats dans un sens qui leur est favorable.
– Derrière ces acteurs privés, on trouve des représentations très diverses, allant de l’intérêt d’un petit nombre de personnes, jusqu’à une véritable expression populaire.
Les nouveaux acteurs
Si les États ont un territoire limité, ce n’est pas le cas des entités privées, entreprises, associations professionnelles, ONG, ? qui peuvent intervenir sans limitation territoriale et sans limitation de durée. Ces structures privées ont des systèmes de remontée d’information des plus puissants. Ces entités ont acquis une telle place qu’elles sont parfois des relais privilégiés des organisations internationales. Elles peuvent avoir des fonctions opérationnelles (notamment dans les pays en crise), des fonctions consultatives, normatives ou de contrôle.
La place de l’État
La France peut se retrouver en décalage dans cette nouvelle « donne mondiale » où la place faite à l’État ne lui correspond pas.
– En France, l’intérêt général est un concept incarné par l’État, représenté par des personnes élues, et qui n’est pas la somme des intérêts privés.
– Dans la conception américaine, l’intérêt général se forme par l’arbitrage entre des intérêts privés. Dans ce cadre, les lobbies qui interfèrent, sont parties prenantes de ce système, et ont même une fonction démocratique forte. Hélas ou heureusement, selon les choix, c’est ce système qui s’est imposé dans les fonctionnements politiques nationaux et multilatéraux.
Coloration anglo-saxonne
La concurrence est devenue plus immatérielle, plus anglo-saxonne, et hors les très grandes entreprises qui s’y sont vite adaptées, les acteurs français et notamment l’État n’ont pas encore vraiment pris conscience de ces influences profondes, qui vont bien plus loin que la stricte économie, et qui touchent au système de pensée et au modèle de gouvernance. Quelques exemples :
– Les conceptions américaines se sont imposées dans le monde des affaires et peu à peu dans l’approche éthique en général.
– Les progrès de la culture américaine sont notamment visibles dans le « formatage » des élites des pays émergents. A titre d’exemple, le développement du e-learning par des sociétés américaines a un impact
– Le choix du droit qui définit le cadre des affaires.
– Le développement des classements internationaux apparaît comme une nouvelle technique d’influence.
Une question : quel rôle vont vouloir jouer les « nouveaux entrants » dans ce formatage des règles du jeu, notamment les BRIC ? (Brésil, Russie, Inde et Chine)
Si on a vu que l’impact de la mondialisation se fait ressentir à tous les niveaux, quelle rôle peut tenir la France ?
II- Jouer nos atouts dans la mondialisation
Les atouts dans la mondialisation visibles
Ils sont réels et divers. Citons quelques exemples :
– la réussite mondiale de grandes entreprises,
– les infrastructures très performantes,
– une population bien formée, une démographie en hausse, …
Même s’il ne faut pas cacher les problèmes
– un solde de commerce extérieur durablement négatif, avec des parts de marché en baisse,
– une influence politique en berne à Bruxelles,
– une dette qui augmente,
– un chômage qui ne baisse pas, voire selon certains qui en fait augmente?
Les problèmes viennent en partie des « défauts » de la France
Par exemple :
– L’absence de stratégie claire en matière économique. On peut considérer qu’il y a deux modèles : l’allemand/japonais, qui joue sur la qualité industrielle et l’externalisation proche, et l’anglo-américain qui est notamment marqué par une globalisation financière. Or tout montre que la France n’a pas fait le choix de l’une ou l’autre option. Et pire, semble annoncer l’un, pour, dans les faits jouer l’autre.
– L’absence de priorisation des objectifs à terme.
– L’hypertrophie de l’approche techniciste ingénieur. La décision est dictée par ce qui se voit, ce qui compte. Au détriment des éléments plus informels, comme l’influence ou le relationnel (l’exemple du choix de Londres pour les JO de 2012 illustre bien la défaite de l’approche « techniciste » contre l’approche « pragmatique »). La France est reconnue dans le monde entier pour la qualité de ses ingénieurs. Le problème vient en réalité de l’enfermement dans une manière unique de voir.
– La monétisation des décisions. Quand on veut faire des réformes, on donne ou on retire de l’argent. Le crédit est de venu la variable d’ajustement de la politique.
– La reproduction des pairs. L’ENA qui a géré les affaires de l’Etat, a produit des esprits brillants, mais qui du statut « d’élèves » sont passés « professeurs », et qui ont fini par reproduire une vision du monde surannée. Le premier chapitre a bien montré tous les éléments de modification du monde qui n’ont pas étés pris en compte par une classe qui fonctionnait sur des données erronées. La mécanique brillante est moins en défaut que la capacité à adapter les données de base.
– La culture du process, dont l’excès (couplé à la cécité des modifications du monde) a produit des ratages.
– L’absence de culture de l’information du monde. Le monde extérieur est souvent accepté par dépit, par ce qu’il ne peut être ignoré. Mais il n’y a pas « de conscience de l’énergie du monde ».
Les invisibles atouts dans la mondialisation
– Le véritable bouillonnement d’initiatives, dont le taux important de création de micro-associations ou d’entreprises, sont des révélateurs.
– L’émigration des jeunes, qui pour une part importante reviennent avec un bagage inestimable.
– Les atouts immatériels, au premier rang desquels le droit, qui s’il perd de son influence, n’est reste pas moins encore utilisé dans 60% des pays de la planète. Des réseaux francophones et/ou francophiles partout dans le monde. Le capital de notoriété et de sympathie malgré la couche d’agacement qui le recouvre bien souvent.
– La forme d’esprit, notamment le sens de la synthèse.
– Le modèle de conciliation entre le marché et la protection sociale, qui s’il est profondément grippé dan notre pays n’en reste pas moins extrêmement pertinent en ces temps de recherche de modes équitables de gouvernance.
Il faudrait jouer le jeu et promouvoir nos forces sans chercher l’affrontement.
Actions pour mettre en valeur nos atouts dans la mondialisation
Des actions peuvent être menées à moindre frais (ne tombons pas dans l’écueil de la variable crédit décriée plus haut). Ces actions concernant plus la psychologie de l’action, que les moyens (financiers) à mettre en œuvre :
– Renforcer le partenariat public-privé.
– Renforcer l’éthique des affaires.
– Ne pas envisager les choses en termes de « guerre économique ». Même si la compétition est très rude. Une approche du type coopétition (néologisme qui mélange coopération et compétition) est plus porteuse.
– La France peut se faire l’apôtre d’un autre modèle de mondialisation. Mais pour cela, elle doit être « irréprochable ». Les idées doivent être présentables, éprouvées, et en cohérence avec ce que nous sommes.
– Développer une approche commune euro-méditerranéenne.
– Optimiser notre rapport à l’information dans toutes les strates de la vie. En commençant par les plus jeunes, à l’école, où l’on pourrait les sensibiliser à la « discipline de l’information » destinée à mieux lire le monde, par exemple en faisant lire deux ou trois textes sur le même sujet mais avec des approches différentes pour leur faire sentir le poids du non dit et de l’influence sous-jacente. Réintégrer les sciences humaines dans les cursus de formation commerce / ingénieurs et rehausser partout l’enseignement primordial de l’histoire.
– Ouvrir les écoles vers l’étranger, et notamment l’ENA, Polytechnique et toutes les grandes écoles publiques et privées (qui à des degrés divers souffrent de la même approche techniciste).
Conclusion sur nos atouts dans la mondialisation
Ce diagnostic honnête et sans concession devrait être un moteur, pour partir des fondamentaux (le monde change, la France a des atouts) et inciter à une action volontariste fondée sur des stratégies à long terme.
On pourra consulter sur ce sujet la formation « Mettre en place et optimiser une veille géopolitique« .
Jérôme Bondu