Je reviens sur l’analyse de l’article de Jean-Marc Manach « la vie privée : le point de vue des petits cons ». Christophe Deschamps évoque dans son dernier ouvrage « Le nouveau management de l’information » le web comme participant à la création d’une conscience mondiale. Cette idée est plaisante, et m’a inspiré une autre idée (voir l’article précédent), que je soumets à votre sagacité.
Épris de liberté
Les ados sont (comme tous les jeunes) en même temps épris de liberté et en même temps à la recherche d’eux-mêmes. Cette recherche de soi peut se faire dans deux états d’esprits. En se cachant ou en s’extériorisant. Or, le web est un outil dont on ne peut être absent. Si vous n’y parlez pas de vous, d’autres s’en chargeront. A l’image de Chronos qui dévorait ses enfants, le Web dévore les pudiques. Donc les jeunes n’ont pas le choix. Internet impose de nouvelles règles du jeu. Et cette phase de recherche de soi-même que connait tout ado, doit donc prendre le chemin (quasi obligatoire) de l’extériorisation. A partir de là, quelle marge de manœuvre ont-ils ?
Produire peu, c’est donner un angle de soi. Produire beaucoup permet plus facilement de se masquer, de « noyer le poisson ». On se cache mieux en surproduisant qu’en essayant de limiter une présence sur la toile. C’est la tactique de la surinformation. Des millions des jeunes surinformant la toile de leurs vies, de leurs pensées, de leurs images, forment une sorte d’écran plus ou moins opaque qu’il sera d’autant plus difficile de pénétrer. On peut bien sur se dire que si l’on cherche de l’information sur une personne précisément, on pourra en savoir beaucoup. Mais l’on peut aussi objecter que si cette personne jette de manière brouillonne tout ce qui lui passe par la tête, le « graphe » que l’on pourra en retirer ne reflètera qu’un « brouillon ».
Exhibitionnisme numérique
Je me demande s’il n’y a pas derrière cette surproduction numérique, cet exhibitionnisme numérique, un réflexe de protection des ados. Réflexe qui ne reflète en rien une volonté stratégique collective et objective, mais qui reflète plutôt une tendance de fond issue d’une « d’intelligence collective », d’une « conscience collective ».
Françoise Dolto expliquait qu’un jeune est fragile durant l’adolescence à l’image du homard qui change de carapace et reste sans défense le temps d’en produire une nouvelle. Elle a appelé cela le « complexe du homard ». Je me plais à penser que nos ados adoptent le « réflexe de la seiche ». La seiche projette un nuage d’encre pour se cacher, se protéger d’un prédateur. Les adolescents se cherchent une identité, et dans cette phase de trouble émettent un jet d’encre numérique qui les masquent temporairement jusqu’à trouver une identité stable. Cela permet de découvrir une nouvelle facette de l’exhibitionnisme numérique.
Jérôme Bondu
NB : Pour ceux qui n’ont jamais vu de jet d’encre d’une seiche. Voir cette courte video (d’où est tiré la photo).