Nouveau succès du cinéma français ! Le record d’entrée de « La grande Vadrouille » battu par « Bienvenu chez les Ch’tis » !! Qui l’eût cru ? Le succès du film a fait couler beaucoup d’encre et de pixels. Quelles sont les raisons de son succès ? Quelles conclusions en tirer ? Voici quelques idées éparses…
I- Les raisons du succès du cinéma français
Beaucoup d’articles se sont penchés sur cette question. Tous relèvent la performance des acteurs, un bon rythme de gags, mais surtout des bons sentiments, un film réellement sincère et attachant.
Que relève-t-on du côté de l’analyse marketing :
– Benchmarking : Dany Boon avait depuis plusieurs années testé sur scène ses meilleurs sketches et les réactions du public. Il a pu choisir les meilleurs d’entre eux pour son film.
– Teasing : Le film a été diffusé en avant première dans le Nord, et a rencontré tout de suite le succès. La presse nationale, s’en faisant l’écho, a mis l’eau à la bouche des spectateurs du reste de la France.
– Le bouche à oreille. Comme « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain », le film a bénéficié d’un excellent bouche à oreille qui incite même un public rétif au cinéma à retourner devant le grand écran.
Mais le marketing n’est pas tout. C’est un film qui a une véritable substance, qui véhicule un véritable message social.
Le message social
Je cite le journal L’Internaute qui fait cette bonne analyse : « La comédie de Dany Boon prône la tolérance et le respect des inégalités. Les Ch’tis présentés dans le film ouvrent les bras aux « autres » tout en sachant affirmer leur identité locale. Les spectateurs français sont sensibles à cet élan national qui, au-delà des différences, des codes régionaux, des classes sociales et des préjugés, les unit. » *
Respecter son identité, tout en se fondant dans la société, est un thème plutôt porteur dans notre France du XIXème siècle.
Mais il y a autre chose. Ce nouveau succès du cinéma français est une revanche des gens ordinaires, attachés à leurs cultures régionales, et souvent ridiculisés par l’arrogance parisienne (Deschiens, Groland) et anémiées par une certaine forme de totalitarisme centralisateur.
Le Nord a particulièrement subi le poids des préjugés. D’abord sur le temps qu’il y fait (alors que l’ensoleillement et la pluviométrie sont sensiblement équivalent à Paris). Ensuite sur l’image sociale, d’un « pays » dévasté par le chômage, la drogue, l’immigration et la prostitution.
II- Quelles conclusions tirer de ce succès du cinéma français ? Quelles opportunités ?
Le Nord une seconde fois à l’honneur
Bien que le Nord soit très souvent présenté sous un jour misérabiliste, ce n’est pas la première fois qu’il est à l’honneur. Pierre Perrin (interprété par la suite par Bourvil) avec sa chanson « un clair de Lune à Maubeuge » qui a fait un tube en 1962, l’avait déjà affirmé :
« Tout ça ne vaut pas
Un clair de lune à Maubeuge
Tout ça ne vaut pas
Le doux soleil de Tourcoing …»
(les nostalgiques retrouveront le texte complet de la chanson en fin d’article **).
On a d’ailleurs beaucoup reparlé de Bourvil pour remarquer les similitudes avec Dany Boon, alors que le film du Ch’ti vient de battre le record tenu depuis 1966 par la « Grande Vadrouille », dans lequel s’était illustré
le comique Normand.
Maubeuge
Pour la petite histoire, Maubeuge a bénéficié des retombées de cette chanson pendant des années ! Une « kermesse de la bière » a été organisée chaque été jusque dans les années 80. Puis Didier Fusillé a repris le flambeau en créant les Festiv’Eté (appelé par la suite Folie’s). Il s’est par la suite illustré en assurant la direction artistique de Lille 2004 ? Capital Européenne de la Culture.
Bergues (et non pas Beurgue) pourrait capitaliser de la même manière. Avec un atout en plus. Il ne sera pas nécessaire comme à Maubeuge de créer un événement ex nihilo. Bergues a en effet le privilège d’ouvrir la période du carnaval avec le défilé de la première « Bande », quelques semaines avant le point d’orgue du Carnaval de Dunkerque.
Renaissance
La région Nord fut une des plus riches de France avant la fermeture des mines, la crise du textile, et les deux guerres mondiales ont qui désigné la frontière Nord comme une vulnérabilité nationale. Elle le redeviendra pour de multiples raisons. Outre sa proximité avec Londres et Bruxelles, si l’on plonge dans les longues racines de l’Histoire, on trouvera qu’elle se positionne sur un des axes majeurs de l’activité économique de l’Ouest de l’Europe. Le long couloir qui part de la Lombardie et qui rejoint les ports d’Amsterdam et d’Anvers (et même, au-delà, les ports hanséatiques) a toujours été une artère économique qui a irrigué différents c?urs matérialisés par des foires, telles celles de Provins près de Paris ou de Lille (dont la « grande braderie » est encore la vivante héritière). Ce couloir avait été dévolu à Lothaire, fil de Charlemagnes (né dans l’actuelle Belgique***). De la Lotharingie (Pays de Lothaire), peu de gens savent qu’il nous reste le nom d’une région, la Lorraine (contraction de Lotharingie).
Changer de nom
D’ailleurs dans le cadre d’une vision Européenne, le département du « Nord » devrait perdre tôt ou tard son nom, qui ne rime à plus rien. Quand le Nord était au nord de la France cela pouvait avoir un sens. Mais maintenant que la région est à l’Ouest de l’Europe cela mérite réflexion. Une appellation du type Flandres-Avesnois (ou Flandres-Hainaut-Avesnois) aurait le mérite de mieux représenter les « pays » qui la compose, et d’être plus flatteur à l’oreille. Autant on n’a pas envie d’aller en vacances dans le Nord, autant l’on peut tout à fait imaginer faire du tourisme culturel en Flandres, ou se mettre au vert en Avesnois (Petite suisse du Nord). Le changement de nom des Côtes-du-Nord en Côtes d’Armor prouve la faisabilité de la chose.
Déjà le Grand Lille a vu le jour, bien avant que naisse le Grand Paris. D’ailleurs il existe l’association « Grand Lille à Paris », pour les « amis » du Nord qui vivent dans la Capitale, et dont j’ai le plaisir de faire partie.
Une renaissance des régions verra sans doute le jour dans le cadre d’une intégration européenne plus poussée, et sera le corolaire « naturel » d’un « affaiblissement » des frontières nationales. Les départements vont s’effacer (voir le billet à ce sujet) comme échelon administratif redondant.
Le succès fait toujours des envieux !
Face au succès phénoménal du film et aux recettes qu’il génère, quelques élus du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais commencent à regretter la subvention de 600 000 euros qu’ils ont allouée aux producteurs pour le lancement du film. Certains en réclament le remboursement ! Quelle tristesse ! Jamais 600 000 euros d’un conseil régional n’ont été aussi bien employés pour valoriser une région. Auraient-ils pensé cet argent mieux utilisé si ce film avait été un bide ?
Sur le même sujet :
Les enjeux stratégiques du cinéma français.
Analyse du cinéma français : 80 millions de spectateurs étrangers.
Jérôme Bondu
Source :
*** A propos de Charlemagne, il est amusant de relever dans cet article que les deux empereurs qu’à compté la France à ce jo
ur viennent d’au-delà des « frontières » actuelles. Charles le Grand (Carolus Magnus) serait aujourd’hui Belge. Il est né près de Lièges, fief de la future dynastie carolingienne. Napoléon est Corse, île devenue département français très peu de temps avant sa naissance.
** UN CLAIR DE LUNE À MAUBEUGE
Paroles: Pierre Perrin et C. Blondy, musique: Pierre Perrin, 1962
Trouvé en première réponse de Google sur un site Russe !!
Source image Cinéma.