Quels parallèles peut-on faire entre les stratégies de jeux et les stratégies d’intelligence économique ?
Parlons un peu de stratégies d’intelligence économique !
Tous les professionnels de stratégies de l’intelligence économique connaissent les difficultés ou l’embarra d’expliquer cette discipline à des néophytes. Il y a ceux qui ne comprennent pas, ceux qui jugent cela inutile, ceux qui assimilent cela à du marketing ou à de l’espionnage.
Dans le même ordre d’idée la lecture ou l’explication d’opérations stratégiques complexes, de fusion-acquisitions, de dumping, de lobbying, d’encerclement, de déstabilisation, n’est pas toujours évidente.
Pourtant tout le monde est à même de les comprendre car les ressorts de ces opérations sont souvent très simples dans leurs fondements. Il faut juste adapter le langage. Dans cette optique l’analogie avec les jeux peut être d’un grand secours. Tout le monde sait jouer, il suffit alors de trouver les bons parallèles des stratégies d’intelligence économique. Voir notre formation sur la veille stratégique !
Les stratégies de jeux
Le jeu de Go, première source d’inspiration sur les stratégies de jeux
Le jeu de GO est un jeu japonais très ancien d’origine chinoise qui a ceci de commun avec les échecs que les deux adversaires s’affrontent par le biais de pions disposés sur un plateau. Au GO, tous les pions ont la même valeur.
– Le but du jeu est d’encercler les pions adverses. Dès que vous arrivez à encercler une zone, cela devient votre territoire et les pions adverses qui s’y trouvent vous appartiennent.
– Cette stratégie « territoriale » peut, être interprétée sous différentes formes. L’une d’elle est le combat de grandes entreprises pour des « marchés » captifs. Une grande firme peut ainsi chercher à vendre ses produits à bas prix sur un territoire pour étouffer la concurrence existante. « A ce jeu là », la structure qui a la plus grosse taille est généralement la gagnante (car elle arrive à avoir le prix de revient le plus faible). Une fois le marché captif, elle peut relever ses prix pour récupérer une marge convenable (voire confortable). Pour limiter les effets « dévastateurs » de cette pratique, les règles internationales interdisent de vendre un produit à un prix inférieur à son prix de revient. Cela s’appelle le dumping (de l’anglais « to dump » signifiant « déverser » avec le sens de déverser des ordures).
– Le vaste marché américain permet d’amortir des produits qui seront ensuite commercialisés dans d’autres zones à un prix très bas.
– La qualité première est la vision stratégique long terme.
Les échecs, autre grand témoin des stratégies de jeux
Le jeu auquel on pense systématiquement quand on parle de stratégie est le jeu d’échec.
– Ce jeu serait né en Inde, puis importé en Perse (Iran actuel) puis amené en Europe par les commerçants arabes (de leurs apports il nous reste l’expression « échec et mat » – ce qui vous en conviendrez ne veut rien dire en français- et qui vient de l’arabo-persan « shah mat » signifiant « le roi est mort »).
– C’est un jeu de position. Tout l’art consiste à occuper les meilleures places sur l’échiquier avec les meilleures pièces. Chaque mouvement de pièce pourra être interprété par l’adversaire. La force d’un joueur sera de pouvoir construire une stratégie sur plusieurs coups en sachant anticiper les mouvements de l’adversaire. Dans sa conquête de l’échiquier, le joueur devra positionner ses pièces tout en masquant sa stratégie. Pour cela on peut être amené à sacrifier une pièce pour emmener l’adversaire dans une fausse direction, pour l’inciter à bouger un élément de sa défense ou dévier son attaque.
– A l’origine, les pièces représentent les éléments d’une armée avec le roi, son vizir, éléphants, chars. Par adaptation, elles deviendront le roi, la reine, les fous et les tours.
Les parallèles sont nombreux
– Ce jeu peut être la source de très nombreux parallèles avec tout ce qui concerne la stratégie d’entreprise. Un d’entre eux, me semble assez porteur de sens : celui de la gestion des compétences. Le joueur (comme le patron d’entreprise) doit utiliser ses pièces en fonction de leur puissance et les positionner aux meilleurs endroits. Il n’y a pas de « petites » pièces. Chaque pion peut avoir un rôle capital, et inversement une tour peut se faire bloquer. D’ailleurs un pion mené dans le terrain de l’adversaire devient « dame » ! (tout comme un collaborateur « placé » chez un concurrent peut infliger des dégâts considérables). Le « tempo » est l’action de forcer l’adversaire dans l’obligation de jouer un coup (généralement pour défendre une de ces pièces en danger). Ce qui permet de mener le jeu et à contrario d’empêcher l’adversaire de construire sa stratégie.
– La qualité première est la faculté d’abstraction (de calcul) des coups.
Le Poker
Avec le poker, on rentre dans le registre des jeux de hasard. Enfin, pas tout à fait disent les professionnels, qui utilisent de nombreuses stratégies de jeux. Le mot viendrait soit d’une altération du français poquer (frapper), soit du jeu allemand pochen (qui signifie bluffer).
– Vous n’avez pas de jeu depuis plusieurs tours. Il faut de tenter un « bluff ». Par votre attitude vous faite croire à vos adversaires que vous avez du jeu alors qu’il n’en est rien. S’ils vous croient, vous raflez les mises.
– Le « bluff » est courant dans les phases toujours critiques de négociation, par exemple en cas de fusion-acquisition. Les campagnes médiatiques qui précèdent les pourparlers procèdent de cette technique.
– Mais attention, cette action n’est pas forcément reproductible. Et vos adversaires apprennent vos tactiques.
– La qualité première au poker est « l’influence ».
Le billard
L’origine du billard n’est pas clairement établie. Ce serait une invention française (Louis XI) ou anglaise (du londonien Kew).
– C’est un jeu d’adresse où vous poussez des boules qui viennent frapper d’autres boules. Vous pouvez vous aider des bandes.
– Le billard est une parfaite illustration des actions de lobbying. Vous voulez transmettre des informations à telle personne, mais sans qu’elle sache que cela vient de vous. Vous vous appuyez sur une personne (1ère boule) qui va transmettre le dossier à un organisme (bande) qui va le donner à la cible visée. Votre impulsion a créé le mouvement, mais au final c’est d’autres acteurs qui frappent la cible.
– L’analogie entre billard et lobbying peut aller plus loin. A chaque coup joué, la disposition de l’ensemble des boules impactées a été modifiée, et une nouvelle disposition se met en place. Si vous avez réussi votre coup mais que votre boule a été « projetée » loin de l’action vous aurez du mal à réussir un second coup. D’où l’importance en amont (avant de tirer) de prévoir la « route » de chaque boule (et surtout de la votre). Le meilleur joueur est celui qui sait « placer » les boules impactées dans une disposition qui facilite le coup suivant.
– La qualité première au billard est l’adresse.
Les arts martiaux
Avec les arts martiaux, on sort un peu des stratégies de jeux stricto sensu. C’est d’Asie que nous viennent les arts martiaux, judo, jiu-jitsu, karaté, kung-fu… Tous ont une histoire et un pays d’origine. Arrêtons-nous sur le judo, l’un des plus populaires en France.
– Ce sport a été créé en 1880 par le Japonais Jigoro Kano, qui s’interrogeait sur la meilleure manière de combattre un adversaire plus « fort » (dans le sens force physique) que soi. Son principe de base est de se servir de la puissance de l’attaquant. Ainsi de nombreux « gestes » visent à déstabiliser et faire tomber un assaillant en « prolongeant » son geste (plutôt qu’en essayant de le stopper). Ju do, signifie littéralement « voie de la souplesse ».
– Combien de fois n’avons nous pas vu la grosse entreprise avalée par la petite ? Ce type de « retournement de situation » s’est opéré car la petite a su changer sa faiblesse en force. La petite a moins de salariés ? Mais les décisions y sont appliquées plus rapidement. Il s’agira d’imposer une guerre de mouvement. Son capital est moins important ? Mais il est aussi plus stable. Il s’agira alors de faire pression sur l’actionnariat « volant » de la grande. Ses produits sont plus chers ? Mais de meilleure qualité. Il s’agira d’amener le débat sur le respect des normes et de l’environnement, le rôle de l’ancrage territorial, ?
– Les arts martiaux sont porteurs de nombreuses valeurs, connaissance de l’adversaire (force et faiblesse), anticipation, équilibre et harmonie.
Les sports d’équipe
La pratique d’un sport d’équipe est un élément toujours repéré sur les CV de candidats à l’embauche. L’origine du football serait à chercher en Italie quand sur le champ de bataille les vainqueurs jouaient à se lancer les têtes des vaincus avec les pieds. Le rugby viendrait de la ville de Rugby en Angleterre.
– Les sports d’équipe (par opposition à tous mes exemples précédents) se jouent à plusieurs. La cohésion du groupe fait très souvent la valeur de l’équipe, et est un élément beaucoup plus prégnant que les exploits personnels d’un ou deux de ses membres. A ce titre, il est intéressant de noter que même si l’attaque (dans une équipe de football par exemple) est un élément auquel on accorde toujours beaucoup d’importance, c’est souvent la qualité de la défense qui fait réellement la différence. Ainsi il est bien connu que dans le cadre d’entraînement quand une équipe uniquement composée d’attaquants rencontre une équipe composée uniquement de défenseurs, … c’est souvent la seconde qui gagne.
– De même une entreprise est avant tout une équipe. Si la R&D est déconnectée du marketing, lui même sans échange avec la force commerciale, et même si individuellement ces trois services sont « intrinsèquement » très performants , il est fort à parier que l’ensemble sera de faible valeur.
Dans l’effort quotidien de sensibilisation aux stratégies d’intelligence économique, la comparaison avec les stratégies de jeux peut être une aide précieuse.
Jérôme Bondu
A lire aussi :
Source image : https://www.picpedia.org/suspension-file/s/strategies.html