Guerres de l’eau
Prenez le temps de lire le texte ci-dessous issu de « Louanges de l’eau » de Paul Valéry. Je n’ai pas pour habitude de poster des textes littéraires (sans doute le devrais-je), mais celui-là vaut que l’on y passe une à deux minutes.
- D’abord, parce que l’eau est l’élément indispensable à toute vie. Le rappeler ne fait pas de mal.
- Ensuite, parce que c’est une préparation (comme une autre) pour la conférence de M. Donzier sur la géopolitique de l’eau, organisée par le Club IES le 10 avril. A ne pas manquer ! (mise à jour : lire le compte rendu de la conférence sur les guerres de l’eau).
- Enfin, parce que c’est une belle allégorie de l’intelligence collective. Si chaque goutte d’eau est une intelligence individuelle, les torrents et nappes phréatiques sont les réseaux humains, et les plantes et arbres sont nos organisations intelligentes.
Jérôme Bondu
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Extrait des louanges de l’eau
«Parfois, visible et claire, rapide ou lente, elle se fuit avec un murmure de mystère qui se change tout à coup en mugissement de torrent rebondissant pour se fondre au tonnerre perpétuel des chutes écrasantes et éblouissantes, porteuses d’arcs-en-ciel dans la vapeur.
Mais tantôt, elle se dérobe et s’achemine, secrète et pénétrante. Elle scrute les masses minérales ou elle s’insinue et se fraie les plus bizarres voies. Elle se cherche dans la nuit dure, se rejoint et s’unit à elle-même; perce, transsude, fouille, dissout, délite, agit sans se perdre dans le labyrinthe qu’elle crée; puis elle s’apaise dans des lacs ensevelis qu’elle nourrit de longues larmes qui se figent en colonnes d’albâtre, cathédrales ténébreuses d’où s’épanchent des rivières infernales que peuplent des poissons aveugles et des mollusques plus vieux que le déluge.
Dans ces étranges aventures, que de choses l’eau a connues ! Mais sa manière de connaître est singulière. Sa substance se fait mémoire: elle prend et s’assimile quelque trace de tout ce qu’elle a frôlé, baigné, roulé: du calcaire qu’elle a creusé, des gîtes qu’elle a lavés, des sables riches qui l’ont filtrée. Qu’elle jaillisse au jour, elle est toute chargée des puissances primitives des roches traversées. Elle entraîne avec soi des bribes d’atomes, des éléments d’énergie pure, des bulles de gaz souterrains, et parfois la chaleur intime de la terre.
Considérez une plante, admirez un grand arbre, et voyez en esprit que ce n’est qu’un fleuve dressé qui s’épanche dans l’air du ciel. L’eau s’avance par l’arbre à la rencontre de la lumière. L’eau se construit de quelques sels de la terre une forme amoureuse du jour. Elle tend et étend vers l’univers des bras fluides et puissants aux mains légères.»
Paul VALÉRY, Louanges de l’eau, La Pléiade, p. 202, 203, 204.